La réserve de substitution : kesako ?

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Le temps de la réaction semble passé, de nouveaux débats animant l’actualité. Le temps de la réaction semble passé et pourtant l’amertume demeure, indélébile, alimentant ce sentiment d’injustice. Pourquoi venir accuser des agriculteurs, produisant une alimentation potentiellement à destination de tous, de s’accaparer un « bien commun » que serait l’eau ? Pourquoi s’en prendre encore à une réserve de substitution ? Après le glyphosate, la réserve d’eau, quel sera le prochain totem d’une bataille qui ne dit pas son nom ? Si vous me lisez parfois, alors vous savez que je vais tenter d’apporter un point de vue un poil plus complexe que l’éternelle dichotomie « bien/mal », sans parti pris politique ou syndical. Vous voulez en apprendre plus sur ce qu’est une réserve de substitution ? Vous vous demandez comment une réserve collective peut être gérée ? Vous ne savez pas pourquoi la réserve de substitution s’est imposée dans l’ouest et notamment autour du Marais Poitevin ? La suite peut vous intéresser ! Je dédie ce texte à tous ceux qui n’ont pas de connaissance sur le sujet. Je ne réalise là qu’une ouverture de porte qu’il faudra agrandir ensuite par d’autres lectures plus pointues.

Etre en conversion vers l’agriculture biologique et sur une réserve !

Commençons par le début : une réserve de substitution [nous n’utiliserons pas le terme de « bassine » qui relève du langage de la ménagère et passe à côté du sens profond de son usage agricole] est une retenue d’eau artificielle, c’est-à-dire créée par l’homme, en vue de remplacer le pompage direct permanent dans la nappe phréatique par un pompage contrôlé, en période automnale et hivernale. Aussi, il existe en France des réserves d’eau qui servent à l’eau potable, d’autres à destination des loisirs comme les piscines particulières ou collectives, des retenues pour produire de l’électricité ou même de la neige, et d’autres pour un usage agricole. L’ensemble de ces retenues d’eau ont impliqué une intervention de l’homme sur l’environnement et la biodiversité, à des échelles différentes.

Notre ferme est connectée à une réserve de substitution : cela signifie que nous irriguons nos cultures avec l’eau qui y est conservée, et non par pompage direct dans la nappe, comme ce fut le cas avant la construction de la retenue. Aussi, nous cultivons 51 ha en plaine en conversion vers l’AB, et 50 ha dans le marais (restés en agriculture conventionnelle pour des raisons techniques). Lorsque notre élevage de poules pondeuses a pu se convertir vers l’agriculture biologique, il nous est apparu logique de convertir les terres de plaine vers l’AB : lien au sol, envie de limiter les intrants, possibilité de valoriser la fiente des poules, envie de travailler autrement et mieux raisonner le sol [ça ferait l’objet d’un autre article mais non en AB, on n’est pas toujours avec la charrue !], et valorisation de l’usage de l’eau provenant de la réserve. En effet, les produits issus de l’AB (avant la guerre en Ukraine) présentaient une valeur ajoutée intéressante pour permettre d’absorber la hausse du coût de production sur la ferme liée au passage sur la réserve : le coût de l’eau s’est multiplié par trois pour le même volume.

Qu’irriguons-nous et pourquoi ? En plaine, nous avons 51 ha, dont 47 irrigués en grandes cultures et 2ha d’agroforesterie. Le constat est simple : les parcelles que nous arrosons produisent deux fois plus que les parcelles non irriguées en conditions normales (c’est-à-dire avec de la pluie au bon moment et sans canicule extrême)… Sans eau, que ce soit sur les cultures d’hiver (blé dur, blé tendre, orge, colza, etc) ou les cultures de printemps (maïs, tournesol, pois chiche, légumes, etc…), les plantes ne développent pas leur potentiel en rendements. Et je rappelle tout de même que nous avons choisi d’être agriculteurs pour nourrir la population, pas pour regarder les plantes se dessécher. Aussi, lorsque les précipitations naturelles ne couvrent pas les besoins des végétaux, l’irrigation existe. Par ailleurs, dans le contexte mondial actuel, nourrir la population reste un défi permanent. Ainsi, arroser ses plantes, comme le jardinier arrose son potager, c’est donner les moyens aux végétaux de produire une graine, un fruit, un légume. Dans le marais, il existe une réserve utile d’eau dans le sol qui rend toute irrigation non obligatoire. Même en période de sécheresse comme cette année, les rendements en marais sont meilleurs qu’en plaine irriguée (d’autant plus que nous avons eu des restrictions sur les volumes d’eau, nous en parlerons plus loin). Ces dix dernières années, sur la plaine irriguée, voici les cultures qui ont tourné :

  • sur la partie production de semences (la graine sera semée par la suite) : tournesol, colza, blé dur, fleurs ;
  • sur la partie légumes : petits pois de conserve, haricots verts de conserve ;
  • sur la partie céréales, oléagineux, etc : orge, blé dur, blé tendre, blé améliorant (pour les gâteaux/brioches), maïs, lin de printemps, tournesol.

Et évidemment, en inter-cultures, un paquet de couverts ! Ils servent principalement à nourrir le sol, et les abeilles. On va ainsi retrouver du multi-espèces avec de la féverole, des trèfles, des graminées et autres légumineuses ayant notamment des systèmes racinaires différents pour restructurer le sol via un large spectre. Aussi, entendre l’expression « monoculture de maïs » pour aborder l’usage de l’eau dans notre secteur géographique peut nous faire bondir. De quoi parlons-nous lorsqu’il est question du maïs ? Le maïs est une plante merveilleuse, plus consommatrice d’eau que d’autres végétaux mais aux vertus inégalées. Outre le maïs doux, produit dans le sud-ouest principalement pour la consommation humaine, il existe aussi du maïs semoulier beaucoup moins connu du grand public. Ai-je besoin de vous expliquer à quoi il sert ? (la réponse est dans son nom). Nous en produisons dans le marais. On retrouve d’autres variétés de maïs. Le maïs Waxy, que nous avons cultivé chez nous avant notre conversion AB, servait par exemple aux sauces, aux potages, et autres préparations car son amidon est unique et constitue un liant en alimentation humaine extrêmement intéressant. Il est même arrivé que le maïs soit utilisé pour les cosmétiques, oui mesdames ! Ainsi, loin de ce cliché du maïs purement destiné au bétail, vous comprenez, je l’espère, que produire du maïs ne signifie en rien « prendre des parcelles au détriment de l’alimentation humaine ». Par ailleurs, bien que le maïs soit consommateur d’eau, il est aussi très utile dans la fabrication de la pluie. Ah bon ? Oui, via l’ETP, évapotranspiration qui allie l’évaporation de l’eau au sol et la transpiration de la plante. D’ailleurs,  rappelons nous nos cours de biologie végétale : la plante transpire de manière concomitante à l’absorption d’eau qu’elle réalise, c’est ce qui crée le mouvement de la sève. L’eau captée par la plante repart donc en grande partie sous forme gazeuse dans l’atmosphère. Supprimez les champs de maïs et vous supprimerez aussi des pluies ! Supprimez une forêt, et vous supprimerez de la pluie !

Les réserves collectives et la protection du Marais Poitevin

Vous l’avez donc compris : le recours à l’irrigation ne relève pas nécessairement d’une monoculture de maïs. Et le fait d’arroser ses plantes ne dit rien sur le modèle de production, ni sur la taille de la ferme. Aussi, vous pouvez désormais poursuivre votre lecture en mettant de côté ces considérations qui peuvent parfois brouiller l’esprit.

Vous avez sans doute entendu que les réserves de substitution qui font souvent l’actualité se trouvent dans l’ouest de la France, Vendée et Deux-Sèvres principalement. Leur recours semble donc très localisé et ne peut pas prétendre à une généralisation. Pourquoi ? Pour le savoir, il faut faire appel à un élément primordial de notre territoire : le Marais Poitevin. Dans les années 90, les volumes de prélèvement d’eau pour l’usage agricole étaient bien plus importants qu’aujourd’hui : chaque exploitant irrigant pompait directement dans les nappes phréatiques superficielles (c’est assez caractéristique ici, il ne s’agit pas de nappes profondes) par l’intermédiaire de forages. Et puis, sous des pressions diverses, des restrictions de volume sont apparues. En Vendée, la réflexion collective est née : une centaine d’irrigants s’est réunie en association afin de créer des réserves de substitution, lever des fonds, etc. Aidés par des financements publics et privés, plusieurs retenues ont été construites. Aujourd’hui, la société CACG (Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne) gère le fonctionnement des réserves et de l’acheminement de l’eau vers les exploitations ; et le Syndicat Mixte Vendée-Sèvres-Autizes est propriétaire des réserves. Vous le comprenez : les irrigants n’ont donc pas la main sur les réserves. Les projets ont été encadrés par des entreprises ou collectifs dont l’expertise est reconnue. Le Syndicat mixte par exemple, qui existe depuis 1981, s’appuie sur des compétences pointues de gestion de l’eau dans le Marais Poitevin : leurs missions concernent l’entretien notamment des canaux et ouvrages hydrauliques dans le marais, l’entretien des cours d’eau du bassin versant (Mère, Autize, etc), la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques, la gestion des crues, la lutte contre les espèces invasives. Les réserves de substitution semblent donc entre de bonnes mains, non ?

Pour ce qui concerne la retenue sur laquelle nous sommes connectés, trouver du foncier a été délicat puisqu’il a fallu prendre sur des parcelles cultivées. Par ailleurs, lors des fouilles archéologiques, des vestiges ayant été trouvés, l’emplacement initial fut revu. 15 ha ont été mobilisés pour la création de cette structure en terre et calcaire, recouverte de feutrine et de bâche épaisse. 15 ha, 12 irrigants pour environ 800 ha potentiellement arrosés et des cultures spécifiques en plus de celles que j’ai citées pour notre ferme (pomme de terre, soja et autres). En plaine, la haie étant naturellement peu présente, aucun arbre n’a été supprimé lors de la création de la retenue. Selon les secteurs géographiques et les infrastructures écologiques éventuellement supprimées pour la création de retenues, il a été exigé après étude d’impact environnemental des contreparties telles que la plantation de haies. Il fut un temps question, pour notre réserve, de planter des arbres pour « cacher » la réserve, mais c’est tombé à l’eau. Et puis soyons honnêtes : dans un paysage recouvert d’éoliennes, allant jusqu’à 180m de hauteur, une réserve recouverte d’herbe n’apparait presque pas dans le paysage ! Parmi la douzaine d’irrigants connectés à cette retenue d’eau, un responsable est désigné pour veiller sur l’ouvrage et faire le lien avec les parties prenantes.

Comment fonctionne une réserve de substitution ? Qui dit réserve dit nappe phréatique (superficielle, je le rappelle). Un piézomètre, placé à un point précis de la nappe, permet de mesurer le niveau de l’eau présent. Les données de chaque piézomètre sont accessibles H24 sur le site du SIEMP (Système d’Information sur l’Eau du Marais Poitevin, site : https://www.epmp-marais-poitevin.fr/siemp/). Ce site dépend de l’EPMP (Etablissement Public du Marais Poitevin), qui représente l’Etat dans la gestion de l’eau et de la biodiversité pour la conservation et la restauration de la fonctionnalité de la zone humide du Marais Poitevin. Autrement dit, il apparait clairement, si vous en doutiez encore à ce stade, que les réserves d’eau sont soumises à des contrôles permanents et à des prises de décision relevant de l’Etat. Allons plus loin…

Le remplissage de la réserve s’effectue par pompage de l’eau dans la nappe via des forages qui servaient antérieurement à l’irrigation « en direct ». Cette opération ne s’effectue que dans des conditions précises : période allant d’octobre à mars, dans le respect de seuils déterminés en fonction de l’avancement dans la saison hivernale. Autrement dit, il est possible de commencer à remplir la réserve en octobre si un premier seuil de niveau de la nappe est atteint, puis de poursuivre au fur et à mesure selon d’autres niveaux de la nappe. Les agriculteurs n’ont donc pas de pouvoir de décision quant au remplissage de la réserve. En ce moment même, le niveau de la nappe pour débuter le remplissage n’étant pas atteint, l’opération n’a donc pas commencé. Les seuils de niveau de la nappe sont écrits dans les textes du SAGE Vendée (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux, site : https://www.gesteau.fr/sage/vendee) qui constituent un document de planification de la gestion de l’eau, élaboré par les acteurs locaux réunis en Commission Locale de l’Eau.

Par ailleurs, ce n’est pas parce que les agriculteurs sont sur des réserves qu’ils arrosent autant qu’ils en ont envie ! Chaque irrigant détient un volume (qu’il demande chaque année) qui doit permettre de couvrir les besoins en eau en conditions « normales », et en fonction du remplissage de la réserve. De plus, puisque tous les agriculteurs ne peuvent pas être connectés aux réserves, pour des raisons techniques, des irrigants continuent de pomper directement dans la nappe en période estivale. Aussi, lorsque le piézomètre indique que le niveau de la nappe commence à baisser, des restrictions en eau peuvent se mettre en place. Des Comités de gestion d’eau se réunissent très régulièrement en été afin de déterminer des niveaux de restrictions en fonction de la courbe d’alerte. Ce Comité réunit l’EPMP, le Syndicat Mixte, l’association des irrigants et des associations environnementales. Par conséquent, que l’on soit connecté à la réserve ou que l’on pompe directement dans la nappe, les restrictions s’appliquent à tous. Je le réécris pour que ce soit bien clair : un agriculteur irrigant connecté à la réserve subit des restrictions même s’il ne pompe pas directement en période estivale dans la nappe, et même si de l’eau est disponible pour tous dans la réserve. Le système se veut donc collectif et solidaire.

Alors, est-ce qu’on est loin du cliché de départ à coup de « monocultures de maïs par des gros exploitants en agriculture conventionnelle cultivant des terres mortes et arrosant comme bon leur semble, en plein été » ? Je vous laisse en juger. Ce qui ressort en tout cas en cette année extrêmement chaude et sèche c’est que, dans notre secteur, les jardiniers du dimanche ont vu de l’eau dans les canaux et leur forage tout l’été, le milieu est resté humide et c’était bien l’objectif recherché. Il apparaît aussi, lorsque l’on regarde la courbe du piézomètre de la nappe sur laquelle nous sommes connectés, que la réserve et la gestion de l’eau qui l’accompagnent ont permis d’éviter une chute brutale du niveau d’eau de la nappe contrairement à 2003 (courbe rouge sur le schéma ci-dessous, en bleu pour l’année 2022).

Et il serait bon de noter qu’en sud-Vendée, par une démarche qui se veut collective et qui implique un partenariat fort entre les irrigants et les parties prenantes déjà citées, l’eau fait l’objet d’attentions particulières, et des effets sur le milieu naturel sont déjà visibles. L’eau nous est précieuse, nous faisons de notre mieux pour en prendre soin, et pour conserver les volumes qui nous permettent de couvrir les besoins des plantes destinées à l’alimentation de l’homme. Et même si le système peut encore être amélioré, observons déjà les avancées opérées. Oui, l’évaporation de l’eau sur la réserve a été abordée, il avait même été questionné la possibilité de placer des panneaux photovoltaïques dessus afin de limiter l’évaporation et faire baisser le coût de l’électricité dans l’acheminement de l’eau vers les exploitations via l’autoconsommation. Mais cela nécessiterait des infrastructures colossales. Vous comprenez désormais que la réserve ne s’est pas réalisée au hasard et que son utilité environnementale dans le Marais Poitevin est indéniable (ce qui n’est pas généralisable, je le redis). Ne jetons pas tout cela, n’accusons pas des agriculteurs qui opèrent des transitions environnementales de ne penser qu’à eux. Ne laissons pas des opposants venir détruire ce qui a mis autant d’efforts et de concertations à sortir de terre. Et puis, pourquoi venir s’opposer à ces retenues d’eau pour l’usage agricole et pas pour les autres retenues ? Pourquoi décrier l’utilisation de l’eau à des fins alimentaires et pas les 3000L d’eau potable/seconde utilisés pour évacuer pipi et caca en France ? Pourquoi tenir ce discours que l’eau prélevée ne sert que l’agriculteur alors qu’elle sert en fait ce qui se trouvera dans votre assiette demain ? Cette bataille ne dit pas son nom…

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Ce soir, elles sont parties

Le poulailler est encore chaud. La poussière rend l’atmosphère peu respirable. Cette odeur, celle des poules, me semble difficilement descriptible : l’ammoniaque, certes, constitue un élément dominant, mais il n’y a pas que cela. Ça sent la plume ! Ça sent la poule quoi ! Cette odeur est imprégnée partout. Il suffit de rester quelques minutes dans la salle d’élevage pour ressortir avec son empreinte olfactive.

Ce soir, elles sont parties. Leurs bavardages incessants laissent la place au silence pesant. La vie laisse place à la mort. En septembre 2020, elles arrivaient chez nous, après 17 semaines élevées dans leur poussinière en Bretagne. Les 13 mois passés avec elles ne furent pas de tout repos puisque deux confinements les ont touchées (pour cause de grippe aviaire sur le territoire national), les privant de leur liberté dans le parc extérieur. Au final, elles ont passé un peu plus de 3 mois dans le parc de 6ha. Comme l’année fut longue ! Comme il nous fut difficile d’accepter de les voir exclusivement dans le poulailler. Comme nous rêvions de les voir gambader dehors ! Cette année écoulée n’est pas mémorable et ne servira pas de référence. Pourtant, aucune maladie, aucun passage viral n’ont touché nos animaux. Nos poules ont gardé un état d’emplumement correct très longtemps, malgré les confinements. Techniquement, nous avons plutôt bien réussi cette année (sauf le poids d’œuf!). Mais nous n’avons pas fait d’élevage « plein air » tel que nous le concevons, tel que nous le souhaitions. Nous avons réussi à maîtriser de bonnes conditions d’élevage, mais nous n’avons pas vraiment fait le métier que nous désirions. J’ai aussi passé moins de temps avec ces poules qu’avec les premières : la grossesse et la naissance m’ont poussée à m’arrêter quelques mois. Être « loin » de mes animaux, ne pas pouvoir les observer, les sentir, leur parler, ce fut une épreuve de plus pour moi dans cette année en perte de sens.

Ce soir, elles sont parties. Elles étaient à nouveau confinées depuis quelques semaines. Les enfermer alors qu’elles étaient à la fin de leur vie, ce fut le déchirement. Vous ne comprenez peut-être pas ce que j’exprime ici. Oui, ce fut un déchirement de les enfermer à la fin de leur vie, plus que de savoir que c’était la fin de leur vie ! Nous sommes éleveurs, nous savons précisément, au moment où nous accueillons les animaux à quel moment ils partiront pour la mort. Et le sachant, nous faisons tout pour leur accorder une vie correcte, dans les conditions qui sont les nôtres, sous les injonctions officielles, les cahiers des charges, les contrôles variés. Leur mort est inévitable, elle fait partie de notre métier. En revanche, ce que nous maîtrisons, ce sont leurs conditions de vie. Nous ne voyons que leur vie. La poule est une athlète : tout est pensé pour son confort afin qu’elle produise ce pour quoi elle a été conçue : faire son œuf quasiment quotidien, en respectant son rythme biologique. Ce qui m’intéresse chaque jour, c’est la vie de la poule, ce qu’elle mange, boit, son comportement, son état d’emplumement, la coloration de sa crête, ses fientes, etc. Et les avoir avec nous pendant ces mois, c’est une chance pour nous de travailler sur le long terme, de les éduquer quand elles arrivent, de les voir évoluer. C’est extrêmement plaisant, surtout lorsque les conditions sont réunies pour faire du « plein air ».

Ce soir, elles sont parties. Le silence pesant remplace leurs bavardages incessants. Leurs plumes rousses ne font plus voler la poussière. Et dans quelques heures, nous commencerons ce lourd travail de démontage et nettoyage qui prépare à l’arrivée des prochaines cocottes. Une poule n’en remplace pas une autre, non. Chaque « lot » de poules est différent, chaque année est unique : c’est le travail avec le vivant ! Certains s’offusquent de la mort des animaux, et notamment de l’abattage à l’âge de 18 mois, comme c’est le cas pour les poules. Je tenais simplement à expliquer ici que je me satisfais d’avoir pu garder mes cocottes sur la durée initiale prévue. Pourquoi ? Parce que dans la vraie vie (pas celle des idéologies), la trop faible demande en œufs bio, par exemple, a amené les centres de conditionnement à faire abattre prématurément des lots entiers de poules, des milliers de poules. Cette pression de collectifs animalistes qui a poussé la filière œuf à fermer les cages au profit de l’œuf dit alternatif (bio, plein air, etc), ne rencontre pas l’adhésion concrète des consommateurs qui n’achètent pas les œufs de nos belles poules gambadant en extérieur (enfin, quand elles ne sont pas confinées!). Et par conséquent, cette année, des milliers de poules ont été abattues plus tôt pour désengorger le marché (c’est quand même un comble!). Alors que l’on ne vienne pas me titiller sur la mort prématurée de mes poules par rapport à je ne sais quel âge qu’elles pourraient avoir si elles vivaient je ne sais où (pour rappel, la poule ne vit pas à l’état sauvage en Europe, c’est devenu exclusivement un animal d’élevage). Le fait est que je me satisfais tout à fait d’avoir mené ce lot à son terme, avec tous les éléments que je vous ai cités précédemment. Je suis fière de mon mari qui a tenu le poulailler pendant ma longue absence, de nos résultats techniques qui témoignent d’une certaine réussite (même si l’élément économique majeur du poids d’œuf manque), d’avoir pu encaisser deux confinements en maintenant des animaux en bon état et en bonne santé. Nos 4,5 millions d’œufs produits depuis septembre 2020 ont contribué à nourrir les français, en respectant nos animaux. Voilà de quoi être fiers.

Ce soir, elles sont parties. Je les remercie pour ce qu’elles ont produit pendant 13 mois, pour avoir fait de nous encore un peu plus des éleveurs. Je les remercie d’avoir pu s’adapter aux conditions particulières des confinements successifs. Je les remercie d’avoir apporté de la vie dans la nôtre.

S’engager

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Le décor est identique, quoique nous l’espérions différent. Les mois ont défilé, nous faisant passer d’une année à l’autre sans le moindre cotillon. Néanmoins dans ce contexte sanitaire contraignant, mon activité professionnelle ne se trouve pas, pour l’heure, impactée : je m’en estime très chanceuse. Depuis cet article « complexement gris », qui je crois est le dernier que j’ai rédigé, j’ai poursuivi mon chemin. Si vous l’acceptez, je vous en donne quelques jalons.

Vide sanitaire ou vide sidéral ?

Je vous ai laissés en août 2020. Les poules parties, nous nous attaquions à un gros chantier.

Une série de trois vidéos sur ma chaîne YouTube (https://www.youtube.com/c/PleinLesYoeufsLesJoliesRousses) présente les grandes étapes de ce que l’on nomme « le vide sanitaire ». Ce terme désigne le fait, après le départ des animaux, de vider le poulailler pour le nettoyer, l’assainir en vue d’accueillir les animaux suivants. Cela entre dans ce que l’on appelle plus globalement « la biosécurité », c’est à dire l’ensemble des règles et moyens mis en place au sein de l’exploitation pour garantir une sécurité sanitaire du site. En poules pondeuses, c’est essentiel, puisque l’œuf est un produit à risques.

Au-dessus du pondoir, vue sur l’ensemble de la salle d’élevage

Aussi, après avoir monté les pipettes et les assiettes au « plafond », démonté tout ce qui restait au sol (caillebotis, cloisons, etc), quelques coups de godets plus tard, nous en étions à finir d’ôter le fumier. Dans cette période, nous ne comptons pas nos heures : le travail est colossal. Dès lors que je mets le pied dans le poulailler, l’espace-temps est différent. Si je ne regarde pas mon smartphone pour avoir l’heure, j’ai le sentiment que le temps est accéléré. Ce poulailler vide, c’est un gouffre. Le silence, la longueur du bâtiment, les tâches répétitives sont autant d’éléments qui viennent perturber ma perception. Pendant plus d’un mois, nous y passons, chacun, entre 50 et 60h par semaine. Bref, à ceux qui pensent qu’en pondeuses nous ne travaillons qu’à mi-temps, je leur dis d’aller voir sur le terrain, le vrai. Les kilos superflus fondent, l’huile de coude fuit, les esprits finissent par divaguer. Mon manque de lucidité a bien failli me faire perdre un doigt. Nous avons de l’aide ponctuelle, heureusement ! Pas le temps de souffler, les prochaines cocottes arrivent. Nuit blanche en perspective la veille de leur arrivée : la vis d’alimentation est bloquée par de l’aliment colmaté. Même plus la force de m’agacer : à 3 ou 4h du matin, je fais une vidéo. Je me sens bien seule dans ce trou (noir). En somme, le vide sidéral nous accompagne jusqu’aux dernières minutes de ce vide sanitaire épuisant.

Le « Paris » gagnant

Le 25 septembre, les poules de notre deuxième « lot » arrivent enfin. Débute alors tout un processus d’acclimatation, le but étant de finir de préparer la « poulette » pour bien la démarrer en « poule pondeuse ». La poulette arrive à 17 semaines, elle ne pond pas encore. Nous avons une à deux semaines devant nous pour l’amener à comprendre l’essentiel : où boire/manger, où dormir et surtout, où pondre. Elle a tout à apprendre et nous la guidons, nous l’éduquons. Plus ce travail est bien mené, plus nous mettons de chances de notre côté pour une année réussie. Ceci étant dit, problématique de bâtiment oblige, nous avons démarré avec une belle ponte hors nids ! Deuxième année qui commence de cette façon. La poisse.

Alors le 8 octobre, quand il a fallu quitter les bottes pour aller à Panam, ce fut une petite bouffée d’oxygène. J’ai laissé Alexis, regrettant de ne pas pouvoir partager cette journée avec lui. Ce jour-là, j’étais attendue, parmi d’autres jeunes agriculteurs finalistes d’un concours, au siège des JA, puis à l’Académie d’agriculture pour une remise de prix. Quelques mois plus tôt, j’avais fait le pari de participer à un concours pour lequel je ne remplissais pas toutes les conditions. Osé ou pas, je l’ai fait sans en attendre plus que le plaisir d’y avoir participé. Ce concours « Graines d’agriculteurs » portait en cette année 2020 sur la communication : comment passer à côté de cela ? Si bien que, ne remplissant pas les critères d’éligibilité au concours, je ne pouvais pas être finaliste. Aussi, les membres du jury ont pris la décision de me remettre un prix spécial : coup de cœur.

Crédits photo : CultivonsNous.tv

Ce 8 octobre, je partis donc à la capitale pour recevoir ce fameux prix, des mains du Ministre de l’Agriculture, Monsieur Denormandie. Là encore, je vivais comme une parenthèse merveilleuse dans ma vie. En m’installant, je n’imaginais vraiment pas tout ce qui allait m’arriver par la suite ! Une adulte qui redevient gosse, une rurale qui se prend pour une citadine le temps d’une journée. Monsieur le Ministre a ainsi pu visionner des extraits d’une vidéo présente sur ma chaîne. Quel honneur pour moi. Quelle chance inouïe ! Et puis pour m’accompagner dans cette drôle d’aventure, mon ami Edouard Bergeon avait sorti son smartphone. Cela a donné lieu à un film, présenté sur CultivonsNous.TV (lien : https://www.cultivonsnous.tv/FR/video/les-plus-vus/lucie-des-oeufs-et-de-la-com/1:34:824649@14:3944?clickOrigin=homepage)

Alors entre Edouard et notre ministre, j’ai occupé une place privilégiée ce jour-là.

Ce que je mesurais à moitié, c’est que ce prix Coup de cœur donnait lieu à une ouverture vers la presse. Les jours suivants, j’ai reçu un certain nombre d’appels de journalistes régionaux et nationaux souhaitant rédiger un article ou avoir une interview en direct à la TV. Je n’étais pas prête à ça. Alors j’ai fait se succéder des refus, probablement sans la compréhension de mes interlocuteurs persuadés que je saisirais l’occasion de me faire entendre. Comment expliquer que j’aime communiquer, mais avec mes propres moyens ? Que je ne cherche pas la gloire ? Je suis pudique, plutôt discrète en fait. Je ne me fais pas porte-parole d’une filière ni de mes collègues, je ne suis pas une mascotte. Je porte ma parole et c’est déjà une grande responsabilité. Ce que cela révélé, à mon sens, c’est que j’avais effectivement fait un pari gagnant. Ma communication n’est pas invisible.

Par ailleurs, je vous invite à aller voir les lauréats du concours, sur le site Graines d’agriculteurs. Ils ont des projets de communication bien plus concrets que le mien (que je qualifierai plutôt de « virtuel » avec les RS). Entre fermes pédagogiques, accueil de publics, etc, ils ont vraiment su placer leur ferme au cœur d’un réseau.

S’engager : la force du collectif

La fin d’année 2020 a aussi rimé avec « engagement ». En fait, je distingue la communication que je fais pour « moi » dans la mesure où elle m’implique en premier lieu et l’engagement qui se fait au sein d’un collectif et qui nécessite que l’on sache intégrer un groupe. Et même si les deux engagements que j’ai pris trouvent leur source dans le fait que je suis reconnue à travers la communication, ils ne m’impliquent pas en tant que communicante, ou pas seulement.

La coopérative CAVAC

Ma production d’œufs Plein Air a été rendue possible par la coopérative CAVAC (https://www.coop-cavac.fr/le-groupe/) : en 2018, j’ai pu avoir une place dans le groupement VOLINEO (OP volailles de la coopérative) en tant que future éleveuse de pondeuses. La coopérative rend possible des projets, crée de nouvelles filières, apporte de la dynamique territoriale si, et seulement si, des agriculteurs adhérents acceptent d’intégrer la gouvernance coopérative. Les délégués de section, les membres de commission, les administrateurs sont avant toute chose des agriculteurs, éleveurs, producteurs. Et le sens de la coopération agricole tient pour une part à cela. Alors quand des élus sont venus me voir pour intégrer le Comité de section, puis le Conseil d’Administration (par la voie normale, celle de l’élection, précédée par la cooptation), j’ai réfléchi. Quelle place pourrai-je prendre ? Quelle légitimité ai-je alors que j’arrive tout juste dans le milieu agricole, que je suis une femme, que j’ai tout à apprendre ? Je ne doute d’ailleurs pas que certains se posent toujours cette question à mon égard ! Et ils ont raison.

Comme pour beaucoup de défis, j’ai accepté. Pour plusieurs raisons : d’abord parce que j’avais envie de m’impliquer, bien avant que l’on me fasse cette demande : j’avais déjà intégré la commission pondeuses de l’OP et avais suivi une formation sur la gouvernance de la coopérative. Ensuite, parce que justement, il s’agit de faire partie d’un collectif. Rien ne porte sur moi : tout porte sur tous. Quand on pense que dans 10 ans, on comptera 50% d’agriculteurs en moins, cela questionne sérieusement sur la représentation. S’il faut produire autant sinon plus, en étant deux fois moins nombreux, comment pourra-t-on exiger des exploitants qu’ils soient aussi impliqués dans des collectifs ? Nous ne pourrons pas être au four et au moulin : c’est déjà très tendu actuellement. Si je prends le cas de notre couple : mon conjoint est conseiller municipal, impliqué dans un syndicat agricole, et engagé dans quatre à cinq groupes qui travaillent autour des productions agricoles, ou l’irrigation, sans parler de la CUMA. De mon côté, je suis engagée au sein de la Coopérative, entre CA, commissions et comités (au niveau du territoire local), je suis impliquée au sein de la marque Juste et Vendéen, et dans une commission du syndicat. Et je me garde un peu de temps sous le coude pour envisager aussi un engagement au sein de l’école. Nos plannings nécessitent déjà parfois que nous choisissions lequel se « sacrifie » pour l’autre.

Aussi, m’engager au sein de la Coopérative relève d’un choix, réfléchi, lié notamment à cette volonté de comprendre comment fonctionne ce collectif afin de pouvoir en assurer la continuité avec d’autres. Car un certain nombre d’administrateurs vont devoir quitter leur fonction en même temps qu’ils partiront à la retraite. Et tout cela se prépare plusieurs années en amont. Alors loin de moi l’idée de péter plus haut que mon derrière : je ne fais qu’apprendre. J’apprends. J’apprends à chaque comité, à chaque commission, à chaque échange avec les administrateurs. Le contexte Covid n’aide pas, il faut le reconnaître. J’avance comme je le peux, avec mes moyens. Et j’ai cette chance d’avoir intégré un collectif chaleureux, bienveillant et réellement soucieux du bien commun. Je dois avouer que cela fait du bien. CAVAC fait partie de mon paysage depuis toujours, comme acteur important de mon territoire. Et ce que j’apprécie vraiment avec cette coopérative, c’est sa capacité à anticiper et à aller vers des filières nouvelles (exemple : biomatériaux !). Tous ses œufs ne sont pas dans le même panier et cela lui permet d’avancer même en situation de crise. Cette coopérative est en connexion constante avec le terrain, avec son territoire et ses adhérents. Et maintenant que j’ai un pied dedans, je peux l’affirmer en connaissance de cause.

Juste et Vendéen

En 2020, j’ai pris un second engagement : celui de devenir ambassadrice d’une marque de produits vendéens, collectés et distribués en circuit court. Juste & Vendéen (https://www.marque-juste.fr/) est une marque de producteurs vendéens : à ce titre, ce sont les producteurs qui ont créé leur propre prix de vente, phénomène rare en agriculture. L’aventure a commencé avec les éleveurs laitiers : leur travail titanesque pour faire naître et reconnaître cette marque constitue aujourd’hui un socle solide pour envisager de nouveaux produits. Ainsi, les producteurs ont mis sur la table leurs coûts de production et ont déterminé un prix de vente permettant de le couvrir, et de s’assurer (le rêve!) une plus-value. Lorsque cela fut fait, ils sont allés voir les acteurs de la petite et grande distribution, en Vendée, pour leur proposer du lait au juste prix, traçable depuis la vache, éthique et solidaire du producteur. Système U a répondu, tout comme des réseaux de distribution locale. Le miel a suivi, et depuis début janvier, les œufs ont rejoint les étals.

Je ne fais pas partie des producteurs d’oeufs Plein Air collectés, et mon engagement consiste vraiment à pouvoir porter la marque avec mes collègues, à promouvoir l’œuf plus globalement. Je m’en explique dans cet article :

Avancer, se questionner, se convertir

Avancer et se questionner

Comment vont les cocottes aujourd’hui ? Elles entament leur 5e mois avec nous et se montrent dans une forme que nous voudrions conserver le plus longtemps possible ! Evidemment, elles ne sortent pas à l’extérieur puisque le confinement des volailles contre l’Influenza aviaire (H5N8 non transmissible à l’homme) s’impose comme une nécessité pour lutter contre ce virus. Le parallèle avec notre situation montre à quel point nos animaux méritent aussi d’être protégés. Aussi, pour lutter contre l’ennui, quelques enrichissements ont été mis en place : avoine quelques jours par semaine, à la volée, pour les faire gratter ; blocs minéraux à picorer, plutôt bien appréciés. L’objectif consiste à occuper les poules afin qu’elles ne cherchent pas à se piquer entre elles, chose courante chez les gallinacées. Les voir dehors sera une joie pour nous, mais pour l’heure, nous appliquons la règle.

Nous approchons le 1,5 million d’œufs pondus depuis leur arrivée : même si le pic (le plus haut % de poules qui pondent) n’a pas été exceptionnel avec au maximum presque 94% des poules qui pondent, le fait de maintenir ce pourcentage de ponte constitue une réussite pour nous, à plusieurs égards. D’abord, cela témoigne d’un lot de poules homogènes, en bonnes conditions : leur préparation et leur accueil ont joué un rôle indéniable. Ensuite, cela semble montrer une bonne viabilité des animaux : leur état de santé est bon. Couplé à une mortalité faible, il en ressort que nos animaux présentent des caractéristiques tout à fait intéressantes. Est-ce lié à leur confinement ? Nous sommes en droit de nous le demander. En effet, n’ayant pas mis une patte à l’extérieur, les poules n’ont pas été soumises au froid, à la pluie, aux variations de température entre l’intérieur et l’extérieur, ni au stress de la première sortie dehors. Alors même si elles perdent en mobilité en restant dans le poulailler, elles gagnent à maintenir un état de forme stable. Et même si j’adore voir mes animaux à l’extérieur et que c’est comme cela que je conçois mon élevage, je me questionne légitimement sur l’intérêt de devoir les sortir tous les jours, même quand il fait froid ou quand il pleut.

La conversion en élevage biologique

Mon projet initial était tourné vers l’élevage de poules pondeuses bio : faute de marché en 2018, nous sommes allés vers un projet d’œufs Plein Air. Après accord du centre de conditionnement qui achète les œufs et les met sur le marché, avec l’appui de l’OP Volinéo, nous pouvons enfin mettre le pied en bio. Comment cela se passe ? Et qu’est-ce que cela implique ?

Tout d’abord, il convient de rappeler que nous ne faisons pas ce que nous voulons : chaque mode d’élevage répond à des cahiers des charges. Aussi, déterminer un nombre d’animaux, une surface d’élevage, du matériel, etc., ne peut se faire qu’en accord avec des textes officiels et des organismes certificateurs (Certipaq par exemple) ou sanitaires (DDPP). Avoir 15000 poules en Plein Air, cela ne se choisit pas : 15000 c’est le nombre d’animaux que l’on peut avoir pour un poulailler comme le mien et qui permet de couvrir les coûts de production. Alors certains vont crier au scandale parce que nous faisons du « profit sur le dos des animaux » (et quel profit ??? j’attends les dollars!) puis les mêmes crieront au scandale lorsqu’ils découvriront des animaux en décomposition dans un élevage faute d’une rémunération juste du producteur qui aura laissé mourir ses animaux dans des conditions atroces. Car couvrir son coût de production, c’est simplement se permettre de nourrir ses animaux (premier poste de dépenses, et de loin !). Si l’aliment bio coûte beaucoup plus cher que l’aliment conventionnel, néanmoins le prix de l’œuf bio permet d’assumer ce surcoût. Passer en bio, cela me permettra d’avoir moins de poules tout en ayant une rémunération qui me permette de couvrir mes charges. Ainsi, avec 5200 poules en moins, j’honorerai de la même manière mes emprunts. Et c’est rendu possible par un prix de vente en GMS qui correspond réellement à mes coûts de production, corrélé à une demande de consommateurs prêts à payer des œufs plus chers.

La surface extérieure par poule est identique au plein air : 4m2/poule. Mon poulailler pouvant accueillir du bio ou du plein air, les modifications ne porteront que sur les séparations de lot qui devront être pleines en bas, ou bien encore sur le nombre d’assiettes que je pourrai diminuer pour accorder plus de places aux poules. Mon plan de prophylaxie intègre déjà des produits pharmaceutiques (vitamines, vermifuge,…) homologués AB. Aussi les changements ne seront pas radicaux dans ma manière de travailler. Mais j’aurai 5200 poules en moins et croyez-moi, j’en suis heureuse. Et je suis persuadée que si vous proposez à n’importe quel éleveur d’avoir moins d’animaux pour une rémunération identique, alors il vous répondra favorablement. Je pense que depuis trop longtemps nous avons été habitués à mettre une faible part de notre budget dans l’alimentation, sans nous apercevoir que nous mettions les éleveurs sur la paille. Quelques centimes en plus en magasin peuvent engendrer une différence importante pour l’éleveur. Je sais aussi que beaucoup de foyers ne peuvent pas faire de l’alimentaire un poste important face aux difficultés de s’en sortir par ailleurs. Néanmoins la course aux prix toujours plus bas ne peut pas tenir face aux demandes toujours plus nombreuses vis-à-vis des producteurs.

Pour cette conversion, nous procédons en deux étapes : d’abord le parcours des poules. Les 6ha sont actuellement en conversion, et c’est facilité par le fait qu’il n’y a eu aucun intrant depuis fin 2018. Ainsi, les poules Plein Air présentes actuellement iront gambader sur un parcours bio. Et c’est lorsque le prochain lot de poulettes arrivera en fin d’année que la totalité du site passera en bio.

Le mot de la fin…

Chaque jour je m’engage : dans le bien-être de mes animaux, dans la production d’une alimentation de qualité, dans la communication sur mon métier, dans la réflexion vers les orientations à prendre, dans les collectifs. Je crache volontiers sur les discours simplistes et réducteurs, au profit de l’enrichissement d’une vision complexe de l’élevage, de l’agriculture. Il n’est pas aisé de savoir vers quoi aller, néanmoins j’essaie d’être en accord avec mes principes et valeurs. Restons humbles et gardons-nous bien d’aller juger l’agriculteur qui nous nourrit !

Complexement gris

À la Une

Pendant une année, j’ai montré du blanc. Un soir, j’ai montré du noir.

Pourquoi les poules, en production d’œufs de consommation, partent-elles à 18 mois de vie ?

 Les raisons sont multiples. Tout d’abord, il convient d’expliquer que les poules vivent par « lot » ou « bande » : un élevage ne peut accueillir qu’un lot à la fois. Un seul âge, une seule souche, une seule date d’entrée : cela s’appelle la « bande unique » en jargon avicole, le but étant de limiter les risques sanitaires. En ayant un seul groupe d’animaux, la traçabilité et les contrôles ne peuvent pas faire défaut. Cette information vous servira par la suite.

Lorsqu’elles entrent dans leur poulailler définitif, elles ont déjà 17 semaines : précédemment, elles vivaient en poussinière, avec un autre éleveur qui veille scrupuleusement à sa conduite d’élevage. Pourquoi ? Parce qu’il sait que l’éleveur de poules qui lui succèdera attend de lui une bonne préparation de ses futures pondeuses. Cela passe par la gestion de l’aliment, de la lumière, la mise en place progressive de perchoirs, etc. Le métier d’éleveur de poulettes constitue un maillon central dans la réussite du lot de « futures pondeuses ».

Durant plus d’une année, les poules évoluent ensemble dans notre poulailler. Tout est scruté : poids des poules, consommation d’aliment, poids d’œuf, qualité de l’eau, comportement des animaux entre eux et avec l’éleveur, couleur des coquilles et des jaunes, composition de l’œuf (centre de conditionnement), prélèvement de surfaces pour vérifier l’absence de salmonelles toutes les 7 semaines, etc. Leur rythme biologique est respecté : par exemple, j’adapte mes horaires de travail à leur heure de ponte. En effet, la poule se cycle sur un programme lumineux. En hiver, les jours étant courts, la lumière artificielle les guide, tandis qu’en été, le jour l’emporte sur le programme lumineux. Si bien qu’en été, elles se couchent très tard (23h) et pondent donc très tard le lendemain (autour de 10h). Durant une année, elles évoluent : plutôt silencieuses au début, elles prennent de l’assurance puis finissent par être très bavardes au bout de quelques mois. Certaines poules se distinguent très bien des autres, souvent par l’attitude. Par conséquent, dans ce lot, j’arrive aisément à en reconnaitre quelques-unes dans chaque quartier (je rappelle que mon poulailler est séparé en 4 afin de créer des petites unités). Chaque jour, elles sortent pour profiter d’un parc de 6 ha : après la ponte, les trappes s’ouvrent et elles vivent ainsi en petits groupes, allant du poulailler vers le parc, et vice versa.

Au bout de quelques mois, le taux de ponte commence à baisser. Une poule en élevage peut pondre plus de 300 œufs par an : autrement dit, certaines commencent à ressentir de la fatigue vers la fin de lot. Par ailleurs, les œufs dits « déclassés » augmentent au fur et à mesure. On entend par œufs déclassés des œufs qui ne peuvent pas être consommés sans transformation préalable. Pourquoi ? La coquille de l’œuf constitue une enveloppe qui, si elle subit des fragilités, peut laisser aisément passer des agents pathogènes dans l’œuf. Lorsque vous achetez un œuf en magasin, dans une boite, vous pouvez être certains de la qualité de la coquille et donc de l’œuf : il a subi tout un parcours de tests avant d’être placé en catégorie A (œuf de consommation). Par conséquent, au fil des mois, de plus en plus d’œufs deviennent fragiles, et sont donc envoyés en casserie (ovoproduits). Par ailleurs, la mortalité naturelle des poules s’accroit, surtout à partir du 11e mois (pour ce lot). Au bout de 12 mois, mes poules étaient 14300 à manger chaque jour, pour environ 10500 œufs pondus, dont 500 à 600 œufs déclassés. A ce stade, les aspects sanitaires, le bien-être de l’animal et la rentabilité de l’atelier avicole sont entamés. En effet, si nous gardions nos poules, nous continuerions à voir la mortalité augmenter considérablement, l’épuisement des poules s’installer durablement ; et nous ne pourrions plus nourrir nos poules puisque n’ayant plus l’argent nécessaire pour le faire. Pour pouvoir garder des poules plus longtemps en production d’œufs de consommation, il faudrait demander au consommateur de bien vouloir payer plus cher ses œufs, de sorte à ce que la marge entre le coût de l’aliment des poules et le gain réalisé de la vente des œufs puisse perdurer malgré la mortalité, la baisse du taux de ponte et la baisse du nombre d’œufs de catégorie A. Nous pourrions alors effectivement continuer à nourrir toutes nos poules mais cela n’empêcherait en rien leur épuisement. Autrement dit le consommateur payerait plus cher des œufs pour amener des poules à une mortalité naturelle pas nécessairement dénuée de souffrance.

Souvenez-vous de mon histoire de « bande unique » : nous pourrions imaginer faire entrer de nouvelles poules en cours de lot afin d’augmenter à nouveau le nombre d’œufs. Mais vous l’avez compris, c’est impossible pour des raisons sanitaires. Cela remettrait en question la traçabilité des œufs. Nous devons donc jongler entre le bien-être des animaux que nous essayons de garder le plus longtemps possible, la sécurité sanitaire et la rentabilité de l’atelier avicole. Nos poules n’ont de valeur à nos yeux que vivantes. Nous n’élevons pas des poules pour leur mort : c’est de leur vivant que nos animaux nourrissent les hommes et font vivre notre ferme. Nous avons sauvé quelques dizaines de poules en les envoyant chez des particuliers pour une seconde vie. Mais penser que nous pourrions sauver la totalité est une utopie.

Ainsi, nous avons choyé nos poules pendant plus d’une année, nous leur avons offert un cadre de vie respectueux de leurs besoins, nous les avons accompagnées tous les jours, dans l’objectif de produire une alimentation de qualité dans des conditions soucieuses du bien-être des animaux. Nous venons de vivre notre premier départ de poules pour l’abattoir. Nous y étions préparés depuis leur arrivée et c’est aussi parce que nous connaissions cette date butoir que nous leur avons donné le meilleur. Le vide laissé après leur départ est immense : je suis devenue éleveuse avec ces poules, elles m’ont mise en confiance, elles ont donné le meilleur d’elles. Et je suis fière de les avoir gardées la durée prévue car il aurait aussi pu se faire qu’elles soient abattues prématurément. En effet, toutes les 7 semaines, des prélèvements sont effectués pour détecter la présence de salmonelles. Dans le cas d’un test positif, les poules doivent être envoyées à l’abattoir, peu importe leur âge. La santé humaine passe, là encore, avant les animaux. Dans le cas d’élevage produisant des œufs pour les « ovoproduits », les poules vivent plus longtemps (environ 24 mois) et peuvent ne pas être abattues si des salmonelles sont détectées puisque les œufs sont transformés et donc les agents pathogènes éliminés. En production d’œufs de consommation, nous avons le cadre sanitaire/réglementaire très strict.

Pourquoi devais-je l’expliquer, même rapidement, sur les réseaux sociaux ?

Le lendemain du départ des poules pour l’abattoir, j’ai posté un « Thread » expliquant sommairement les raisons de l’abattage et la relation que j’avais entretenue avec mes animaux durant l’année écoulée. J’aurais pu, de manière malhonnête, ne rien poster pendant un mois puis à nouveau filmer et communiquer qu’à l’arrivée du lot suivant, omettant la case « abattoir ». Mais puisque je fais preuve de transparence dans ma communication depuis le début, puisque je ne rougis pas de mon activité et que la mort fait partie celle-ci, et puisque les raisons sont réelles et compréhensibles par la majorité, j’ai décidé d’aborder ce sujet. J’ai été agréablement surprise par le nombre impressionnant de commentaires me remerciant d’avoir expliqué cela, ainsi que le nombre de questions liées à l’abattage, ou aux conditions de vie, etc. Mon post a provoqué un « je ne sais quoi » très positif. Vous l’imaginez, j’ai eu aussi une petite vaguelette de commentaires haineux, irrespectueux, condescendants et injurieux, mais rien de comparable avec le tsunami d’effets positifs observables. Pour me détacher un peu de tout cela et ne pas avoir à lire des centaines de notifications à chaque retour sur Twitter, j’ai masqué la conversation. Désormais, cela vivote sans que je ne sache vraiment ce qu’il devient. J’ai eu un aperçu suffisamment large des réactions suscitées sur les deux premiers jours. Voici le lien du Tweet :

https://twitter.com/JoliesRousses/status/1296136084506775558?s=20

D’abord, j’ai remarqué que, puisque le grand public ne connait pas l’élevage de poules plein air (œufs de consommation), il ne connait pas non plus les raisons qui font qu’elles sont abattues vers 18 mois. Et leur expliquer mon travail d’éleveuse, complexe, consistant à offrir à mes poules les meilleures conditions de vie possible, les aimer et les accompagner jusqu’à la date programmée, a permis pour beaucoup « d’apprendre ». Le terme « pédagogie » est ressorti un grand nombre de fois. Je me questionne sur la rareté du sujet de l’abattage des animaux dans la communication des éleveurs : serait-ce parce que nous ne voyons principalement que la vie de nos animaux ? Est-ce par pudeur ? Est-ce par reconnaissance tacite que la mort est devenue un sujet tabou ? Ce faisant, ne communiquant que sur la vie, nous participons involontairement à rendre la mort encore plus mystérieuse et impropre à être expliquée. Un commentaire m’a semblé important : il disait qu’au fond, ce n’est ni blanc ni noir, mais gris. L’élevage, c’est gris, comme la vie. Pendant une année, j’ai montré du blanc. Un soir, j’ai montré du noir. Alors loin de ce que certains antispécistes ont appelé « une dissonance cognitive » (ou schizophrénie même ! Merci bien !) pour désigner le fait qu’aimant mes animaux, je les ai pourtant amenés à une fin de vie programmée, je dirais plutôt que le métier d’éleveur est « complexement gris » ! Ce serait nier la complexité de l’humain, du métier d’éleveur, de notre mission consistant à nourrir les hommes, que de dire « si tu aimes ton animal d’élevage, alors ne le fais pas tuer ». Et d’ailleurs, si j’avais dit que je n’avais pas aimé mes animaux, cela aurait-il soulagé ces personnes ? Non ! Un éleveur sait depuis la naissance de son animal qu’il mourra, soit pour nourrir les hommes, soit parce qu’il aura accompli sa mission première et que sous peine de s’épuiser, il vaut mieux le faire mourir prématurément.

Par ailleurs, cela m’a beaucoup questionnée sur ce déferlement systématique de haine, lorsque l’on aborde l’élevage, et de surcroît la mort des animaux. Beaucoup ne connaissent pas l’élevage : l’image qu’ils en ont provient des écrans. Et je peux comprendre que n’ayant aucune connaissance du monde agricole, certains puissent éventuellement être choqués. Mais de là à en venir à des propos aussi violents, cela dépasse toujours un peu ma compréhension. L’idéologie est telle qu’elle justifie l’incivilité. Or il conviendrait de relativiser face à ce flot d’émotions non maitrisées. Chaque jour dans le monde, 25000 personnes meurent de faim et de pauvreté. Ma mission est de nourrir, avec une alimentation de qualité, sure, accessible au plus grand nombre. Je ne pense pas qu’importer des œufs produits dans des élevages loin de nos yeux et dont on ignore les conditions d’élevage soit la solution.

Plusieurs paradoxes se sont révélés : d’une part, l’on ordonne aux agriculteurs de nourrir la population, cela s’est vu pendant le confinement, et d’autre part, certains leur ordonnent de ne plus élever d’animaux et de ne plus produire de céréales en quantité (« intensif=beurk») ; d’une part on souhaite que l’éleveur garde ses poules 10 ans (qu’il travaille gratuitement, au passage) et donc qu’il fasse prendre des risques sanitaires à la population (cf ce que j’ai expliqué), mais d’autre part, on accuse l’élevage d’être responsable des pandémies ; d’une part l’on reproche à l’éleveur d’aimer ses animaux et d’autre part, dans une vidéo récente, l’on montre l’horreur d’un élevage où les animaux sont clairement maltraités (quelle honte pour l’élevage français!). Enfin, d’une part l’on souhaite sauver 14000 poules une fois tous les ans, et d’autre part, l’on vit dans l’indifférence totale de ces 25000 vies humaines brisées chaque jour.

Alors, blanc ou noir ?

À la Une

La première bougie

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir.

Albert Camus, Discours de Stockholm, remise du prix Nobel de littérature, 1957

Xynthia : au commencement, le chaos

2010, tempête Xynthia : la côte vendéenne en souffrance, meurtrie dans sa chair. Je vis alors à Nantes, en colocation, dans une petite maison située près du centre-ville. Je vois des images en boucle sur internet des communes touchées, des habitants sinistrés. Je décide de rejoindre un petit groupe de bénévoles qui s’est formé sur la commune dont je suis originaire, et qui intervient déjà depuis 4 jours grâce à la location d’une pompe à eau, et à l’achat de raclettes et autres petits matériels permettant d’évacuer l’eau des habitations. L’Aiguillon, La Faute, je ne connais pas vraiment : ayant de la famille aux Sables d’Olonne, la côte vendéenne se résume surtout, pour moi, par cette ville balnéaire. N’ayant donc aucune image en tête de ces deux communes, les premiers souvenirs que j’en ai sont construits autour de Xynthia : rues boueuses, voitures et bateaux dans les maisons ou jardins, meubles et électroménagers sur la route, les habitants usés, physiquement et psychologiquement, qui s’affairent à évacuer l’eau, à sortir le mobilier pour aller de l’avant. La mairie nous confie des « missions » sur papier, nous permettant de circuler dans la zone : telle adresse, telle action à mener. Je me retrouve ainsi à racler, déblayer, balayer, porter, racler encore, face aux pleurs de personnes qui n’en voyaient plus le bout, des anonymes, pour lesquels nous sommes aussi anonymes, se croisant le temps d’une catastrophe. En passant dans les rues, j’observe, sur beaucoup de toitures, un trou, les tuiles posées à côté, témoignant de la rapide montée des eaux. Je vois aussi cette ligne marron, laissée, telle une empreinte infâme, par l’eau à son plus haut niveau. Cette ligne me dépasse (dans tous les sens du terme), et consigne nous est donnée, pour chaque maison, de laisser un mur avec ce trait boueux, « pour l’expert ». 

C’est dans ce chaos qu’Alexis et moi nous rencontrons. Il est agriculteur depuis quelques mois ; je suis étudiante en philosophie. Raclette à la main et portés par une envie d’être utiles, nous partageons ces missions, comme suspendus dans le temps face à autant de détresse humaine.

10 années d’aventures

Si l’on m’avait dit à ce moment-là « dans 10 ans, tu pousseras l’eau du sas de ton poulailler avec l’une de ces raclettes », j’aurais probablement ri. Devenir éleveuse, cela ne vient pas d’un rêve porté pendant des années, d’un projet ancien construit au fil du temps. Non. C’est la simple histoire d’une étudiante qui rencontre un  agriculteur après une tempête, et ensemble, ils se lancent dans des aventures rocambolesques. A la base, je voulais être exactement celle que je ne suis pas aujourd’hui. « Je n’aurai pas d’enfant, et puis de toute façon je ne serai pas en couple non plus, je serai journaliste de guerre ou alors engagée dans une ONG dans un pays défavorisé ». Finalement, je rencontre Alexis pendant la licence de philosophie, je me retrouve à envisager l’enseignement, puis la formation agricole pour finir dans un poulailler. J’ai jamais mis les pieds plus loin qu’à Bilbao (musée oblige) et n’ai jamais pris l’avion. Quand on me parle de décroissance et d’empreinte carbone, je me marre. Ainsi, loin de mon « moi idéal », j’avance en faisant confiance aux occasions qui se présentent, et surtout, en me nourrissant des rencontres.

Ces 10 années filent à une vitesse folle : Alexis et moi avançons d’un pas commun. Nous sommes très différents, voire à l’opposé, dans nos idées et nos manières d’agir, mais nous partageons des valeurs communes. Je vois toujours le résultat final, lui, tous les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir ; je suis une impatiente insupportable qui agit vite, lui a besoin de temps pour réfléchir et éventuellement passer à l’action ; je déteste le désordre alors qu’il s’y retrouve parfaitement. Pourtant, nous portons des valeurs humanistes, nous sommes plutôt généreux, engagés, appréciant l’ouverture d’esprit, le dialogue et le respect de l’Autre.

J’enchaine deux masters, me plaisant ainsi à apprendre, construire ma réflexion, écrire des mémoires. Lorsque je prends le poste de formatrice en MFR, je commence à mieux cerner son travail, le monde agricole, à en comprendre les problématiques. Mes élèves étant en formation par alternance, je circule dans le secteur, pour faire des visites de stage : les échanges avec les professionnels du territoire m’alimentent, et plus particulièrement les discussions avec les exploitants agricoles. Je participe à la formation des agriculteurs de demain, je vis avec un agriculteur d’aujourd’hui, et échange régulièrement avec les agriculteurs formés hier. Ces regards croisés enrichissent ma réflexion.

Le jour où nous devenons parents, notre vie bascule d’un quart de tour au moins. Les priorités changent nettement. Quelques premières déceptions à la ferme pointent leur nez : qualité et quantité ne sont plus au rendez-vous, entrainant donc une baisse d’entrée d’argent. Une idée un peu folle naît dans notre tête : et si je m’installais avec Alexis ? Mais avec quelle production ? Retour aux valeurs, à la base. Riche de mes rencontres, je repense à Rodolphe et ses poulets de chair label répartis en petites unités, dans des parcours arborés. Je me retrouve parfaitement dans cette manière d’élever des animaux. En parallèle, Alexis s’intéresse à l’apiculture : je lui fais venir un kit contenant ruche, hausse, vareuse, petits outils pour commencer. De fil en aiguille, j’en arrive à la production d’œufs bio : unité séparée en plusieurs lots de 3000 poules, parc extérieur spacieux, poulailler fonctionnel et automatisé pour répondre aux besoins des animaux. En juin 2018, à Vulcania, accompagnant mon groupe d’élèves en voyage d’études, je reçois l’appel de la banque : le projet d’atelier de 9000 poules pondeuses bio est accepté. Saut de joie, rires et pleurs mêlés, discrétion obligatoire cependant vis-à-vis de mes élèves : je fais le premier pas vers une nouvelle vie. Avoir des poules, c’est non seulement pouvoir dynamiser à nouveau un site qui a déjà connu l’élevage, mais surtout pour moi, rejoindre Alexis et partager avec lui le meilleur et le pire. Je sais pertinemment à ce moment-là que tout ne sera pas simple pour nous mais que nous mettons un maximum de chances de notre côté pour avancer. Nous rêvons de vente de miel et d’œufs sur la ferme. Finalement, en novembre 2018, lors d’une visite de stage en EHPAD, j’apprends que la banque nous suit à nouveau sur un projet de 15000 poules Plein Air, le marché bio s’étant rétracté durant l’été. Il me reste deux mois en tant que formatrice : j’en profite au maximum, prépare mon départ et engage la passation de responsabilités. Je suis heureuse de partir, heureuse de commencer une nouvelle aventure, de quitter mon poste en même temps que mon collègue Gérard avec qui j’ai beaucoup appris, et notamment sur la communication et les réseaux sociaux. Je ne regrette rien, estimant avoir fait ce que j’avais à faire.

Aussitôt chômeuse, aussitôt embarquée à conduire la pelleteuse, à organiser le planning des travaux, suivre le chantier et y participer. Alexis et moi ne laissons aucune place au temps libre, pris entre la construction du poulailler et la conduite des cultures. J’aime cette période durant laquelle nous nous investissons : ce projet n’a de sens que partagé avec lui. Chaque jour, je me lève et sait qu’une nouvelle pierre sera apportée à l’édifice. J’apprécie les éclairages que nous nous apportons mutuellement dans chaque situation qui se présente à nous. Et puis nous avons la chance aussi de partager ce projet avec des amis, des membres de la famille : tout volontaire est le bienvenu ! En cinq mois, le poulailler sort de terre : pas commun pour un hors-sol (de cette taille) ! La veille de mon installation officielle, nous mettons en place nos poules, dans le stress et la bonne humeur.  

Voici une vidéo qui porte sur la construction du poulailler

S’en suivent le démarrage complexe, la ponte hors-nid, les tours du matin (5h30) pour « brasser » et du soir pour remonter les poules, un grand temps d’apprentissage. Au bout de deux mois, ça rentre dans l’ordre et je peux enfin souffler un peu. Me reposer ? Que neni ! Je m’investis davantage  sur la communication, multipliant mes réseaux (Twitter, Instagram, le blog). Lancement de la chaîne YouTube, comme ça, pour voir. Ça me plait bien, et puis je commence à être reconnue par le milieu agricole alors même que je débute juste. Je me sens à ma place, enfin. Je me sens honorée aussi d’être ainsi accueillie en grandes pompes par tous ces communicants, ces agriculteurs soucieux d’expliquer leur métier. Des « stars » viennent même m’encourager, à l’instar d’Etienne ou Antoine. J’en ai de la chance, bordel ! Qui eut cru qu’en m’installant avec les cocottes, j’aurais enfin trouvé le juste équilibre entre mon envie d’apprendre jamais rassasiée et un réel besoin de me poser dans un cadre professionnel serein, me sentant libre comme l’air et pleinement responsable de mes actes ?

Et c’est ainsi qu’en 10 ans, entre une tempête et un poulailler, je me suis construite comme « agricultrice » aux côtés d’Alexis.

La première bougie, et un gâteau à base de joie et de doute

Depuis 2017, les années difficiles se suivent et se ressemblent : sécheresse et pluie successives viennent gâcher le travail d’une année, dans un contexte médiatique et sociétal de plus en plus déconnecté de notre terrain. Avant, lorsque j’étais dans l’enseignement agricole, j’étais persuadée de savoir ce que vivaient les agriculteurs, d’autant plus que je vivais avec l’un d’entre eux. Pourtant, après avoir passé un an dans des bottes d’avicultrice, je vous affirme que je ne savais pas. Celui qui n’a pas le pied dans une botte ne peut pas savoir. Chaque jour apporte son lot de joie et de doutes. Mon atelier avicole demandera encore, je pense, deux-trois ans avant que je puisse en vivre à peu près correctement : je me contente cette année de constituer une trésorerie qui disparaitra dans les remboursements de prêts pendant le vide-sanitaire et les 3-4 mois qui suivront (temps durant lequel la marge est négative). Je pars de rien, j’ai tout à construire et cela demande une certaine patience, que j’accepte d’avoir dans ce cadre bien précis. Cela exige aussi beaucoup de sacrifices sur le plan personnel. Nous ne pouvons pas partir en week-end ou en vacances, à la différence d’associés non conjoints.

Alexis et moi sommes heureux de travailler ensemble mais pas un jour ne passe sans que nous nous interrogions sur la suite. Le doute est permanent, alimenté par des prises de décision, au-dessus de nous, toujours plus restrictives. Et cela touche aussi bien les cultures que l’élevage. Chaque jour, nous mettons tout ce que nous avons dans notre ferme, dans notre travail, pour produire une alimentation de qualité. Nous sommes « rémunérés » à partir de ce qui est produit : autrement dit, nous avons une obligation de finalité (production) qui engage nécessairement des moyens. Nous investissons dans des outils (moyens) pour une meilleure performance, performance qui dépend aussi de beaucoup d’autres facteurs que le seul travail de l’agriculteur (climat par exemple). Par conséquent, si des décisions viennent à porter sur les moyens que l’on maîtrise, alors la performance est (dés)engagée. Et je sens poindre la fin de l’épointage du bec des poules comme la fin des NNI et bientôt du glyphosate : sans aucune solution de secours pour atteindre une performance égale. Or, je le rappelle, nous vivrons d’autant mieux que nous serons performants. Bref, plus il est demandé à l’agriculture d’être « pointue », « connectée », « performante », plus le fossé se creuse entre les personnes exerçant en agriculture et ceux qui ne font que l’observer, de près ou de loin, et moins l’agriculteur peut vivre de sa production. Pourquoi ? Parce que comme le travail agricole se complexifie, il est moins compris, donc encore plus soumis à des prises de décision déconnectées du terrain qui lui font perdre sa performance. CQFD

Cette citation de Camus dans le « chapô » me rappelle à quel point les époques peuvent se faire écho (à ceci près que si la mort entrait à l’époque dans le débat, aujourd’hui, elle joue le rôle de l’amant planqué derrière le rideau). Je croise les doigts pour que ma génération parvienne à faire se corréler volonté de « refaire le monde » et « empêcher qu’il se défasse ». Un travail de titan s’engage, et notamment en agriculture. Dans 10 ans, 50% des chefs d’exploitation actuels seront à la retraite : laissera-t-on les jeunes reprendre la suite ou bien contenterons-nous d’importer et taxer ? J’ai l’espoir, naïvement sans doute, qu’en communiquant, je parviens à créer des vocations, à contrer des a priori. J’ai l’espoir que notre ferme ait encore de beaux jours devant elle, qu’elle soit un lieu de productions de qualité, et reconnue comme telle. J’ai l’espoir que chaque anniversaire soit synonyme de fierté. Cette année, croyez-moi, fière je suis ! Les doutes n’empêchent pas de croquer chaque jour à pleines dents. Les doutes m’accompagnent pour m’éviter l’emballement et rester prudente. Les doutes alimentent la réflexion et l’anticipation. J’ai encore à apprendre, beaucoup. Je vais endosser de nouvelles fonctions à la rentrée : encore des occasions de contribuer au débat et aux actes.

Quand anniversaire d’installation rime avec fierté !

Je suis agricultrice, avec celui qui m’accompagne à chaque instant. Mon but consistait à partager avec lui tout ce qui fait la complexité de ce métier, être plus forts à deux. Finalement, je me retrouve à partager avec vous ce qui fait notre quotidien, et c’est le pied. Je suis fière du chemin que j’ai parcouru depuis 1 an, de celui emprunté aussi depuis 10 ans. Au fond, je n’ai qu’une seule demande : c’est que l’on nous laisse vivre dignement de notre métier.

CultivonsNous.tv : du champ à l’assiette

À la Une

Le 29 avril, Edouard Bergeon, réalisateur du film « Au Nom de la Terre » notamment, présentait officiellement sa chaîne CultivonsNous.tv « la première chaîne en SVOD sur l’agriculture, le bien manger et la transition écologique », que Guillaume Canet parraine. A raison de 4,99€/mois, sans engagement, vous aurez accès à un panel de « documentaires, des reportages et programmes courts pour cultiver nos connaissances sur la terre et comprendre le chemin des produits que nous mangeons, du champ à l’assiette » (dixit Edouard). Plusieurs rubriques sont proposées : « ceux qui nous nourrissent », « ma vie de paysan 2.0 », « dans quel monde vit-on ? », « ce qu’on mange », « ce qu’on boit » et « pêcheurs du monde ». En somme, pour moi, une telle variété de propositions fait de cette chaîne un ovni (objet visuel non identifié). Pourquoi ? Loin d’une vision dichotomique d’une agriculture en fait ignorée par le grand public, ce projet embrasse une réalité agricole complexe, nous interpelle à la fois dans nos valeurs et dans notre assiette, montre que l’agriculture occupe une place de choix dans notre vie. J’apprécie particulièrement l’ouverture au monde et à toutes les réflexions que cela engendre. Dans « ma vie de paysan 2.0 », rubrique accessible gratuitement, vous découvrirez des vidéos d’agri-YouTubeurs, dont je fais partie.

Qu’est-ce qui a fait que j’ai accepté cette diffusion de mes vidéos ? Les raisons sont multiples.

D’abord, d’un point de vue tout à fait individuel, égoïste même, c’est un honneur. J’ai débuté mon activité avicole en août dernier, ma chaîne YouTube en novembre. Cette sollicitation n’a fait que renforcer mon envie de communiquer sur mon activité, et me prouve qu’elle est efficace. « Hey ! C’est Edouard Bergeon quoi ! »

Ensuite, je me sens en accord avec cette volonté d’Edouard de parler de l’Agriculture, avec un grand A, celle qui mérite qu’on lui accorde enfin une chaîne thématique ! Il faut parler agriculture, mais ne pas laisser n’importe qui le faire (et n’importe comment de surcroît). Aussi, cette rubrique 2.0 des YouTubeurs, placée à côté de reportages, documentaires, etc, c’est une chance. Ce sont là des regards croisés, des points de vue multiples, des sources réellement ressources. Et là, j’y perçois l’opportunité inouïe de pouvoir montrer qu’en agriculture conventionnelle, qu’en production d’œufs Plein Air, nous sommes raisonnés, réfléchis, conscients de notre rôle sur l’environnement. Ainsi, le téléspectateur pourrait regarder un reportage sur la production maraîchère bio, puis pourrait ensuite passer à un documentaire sur la production de piments au pays Basque, se diriger vers une vidéo d’Alexandre de Prodealcenter, pour aller finalement vers un documentaire sur le suicide dans le monde paysan, ou bien encore la pêche dans l’océan pacifique. Le tout, sans être orienté et obtenir de pression médiatique autour d’une ligne éditoriale vendeuse.

De plus, le lien vers ma chaîne aura au moins l’intérêt de donner accès au grand public à un élevage de volailles : la communication en aviculture de la part des éleveurs est encore très timide. On y découvre ce qu’est l’élevage de poules Plein Air, en abordant le bien-être animal, la biosécurité, le rythme biologique de l’animal, etc. Ce n’est qu’un début et « Plein Les Y’œufs » promet encore des surprises. Et d’ailleurs, notre chaîne s’est enrichie de vidéos sur l’apiculture en amateur, avec mon conjoint, Alexis ; le but étant d’orienter nos propos vers une réflexion sur la biodiversité. Des projets divers vont arriver en lien avec tout cela et offrira des supports visuels intéressants.

Aussi, que ces vidéos puissent être accessibles à des personnes qui ne les auraient jamais cherchées sur YouTube, c’est une chance. Je ne cours pas après le nombre d’abonnés ou de vues, donc que mes vidéos soient accessibles ailleurs sans que cela vienne « grossir » ma chaîne m’importe peu. Ce qui compte pour moi, c’est qu’un certain public puisse avoir accès à des informations sur l’élevage de volailles. Alors oui, je ne suis qu’un exemple parmi d’autres, et pas un modèle (je le répète souvent dans mes vidéos, refusant le statut de porte-parole d’une filière). Néanmoins, je reste un exemple. Alors je me dois de poursuivre. Et lorsque Edouard m’a appelée, m’a présenté sa démarche, je n’ai pu qu’adhérer.

Au-delà des raisons exposées précédemment, je peux aussi vous avouer que j’apprécie particulièrement n’y voir aucune publicité, ni aucune présence de lobbies ou associations cherchant à se placer. Des reportages, des documentaires, des programmes courts, d’une qualité remarquable et des vidéos d’agriculteurs-éleveurs témoignant de leur quotidien. Qu’espérer de plus ou de mieux ? Nous avons là de quoi panser/penser un peu les plaies d’une agriculture française blessée par certains discours médiatiques négatifs, répétitifs, autour d’une ligne éditoriale simpliste (bio=bien, non bio=mal). Le tout, sur une ouverture à l’agriculture mondialisée, et la transition alimentaire.

Quoi de neuf Les Jolies Rousses ?

À la Une

Des nouvelles des cocottes !

Elles ont fêté leur premier anniversaire la semaine dernière, sous une chaleur surprenante. Nous en sommes à la semaine 54. Depuis un peu plus de deux semaines, elles rencontrent quelques difficultés à basculer sur un nouvel aliment. En effet, nos œufs Plein Air sont à présent certifiés « Bleu Blanc Cœur » et pour cela, le cahier des charges exige un enrichissement de l’aliment en graines de lin, notamment. Pourquoi ? Pour garantir la présence d’Oméga 3 et 6 dans les œufs. Pour mes poules, tout changement d’aliment constitue un frein temporaire à la consommation et donc à la ponte. Lorsqu’elles sont passées d’une base maïs à une base blé en janvier dernier, ce fut une période de quinze jours-trois semaines durant lesquelles elles souffraient un peu au niveau digestif. Les transitions s’avèrent longues avec ce lot. Et là, nous venons à nouveau de traverser une étape plus délicate, avec une perte de 3% d’œufs, une baisse de la consommation d’aliment, une homogénéité moins marquée. La chaleur survenue sans prévenir n’a pas favorisé la transition alimentaire, puisqu’elle ne pousse pas à la consommation, au contraire. Par ailleurs, malgré l’apport de calcium et de vitamine D, les œufs présentent de plus en plus de fragilité, bien que cela reste minoritaire. Je vais donc veiller à poursuivre les apports.

Dans la relation avec elles, j’avoue que je les connais de mieux en mieux. Les voir vieillir, évoluer encore, c’est une chance. Même si les détracteurs de l’élevage diront que nous ne gardons pas nos poules suffisamment longtemps, je me sens pourtant chanceuse de les avoir un peu plus d’une année pour les connaître. En volailles, c’est la production qui permet de passer le plus de temps avec ses animaux. Les poules ont leurs habitudes à présent, et je me rends compte qu’en décalant un seul repas de 15 minutes, tout peut changer ! Elles « s’affirment » plus. Cela se traduit par un fond de picage, encore timide mais présent. Leurs plumes du cou ont été  abîmées par les assiettes et ont accentué l’arrivée d’un picage latent. J’y veille avec les bottes de luzerne et en baissant l’intensité lumineuse en fin de matinée jusqu’en soirée. Pour ceux qui ignorent ce qu’est le picage, il s’agit d’une attitude visant à tirer sur les plumes pour, notamment, les consommer. Un picage élevé peut entraîner une mortalité car les poules piquent jusqu’au sang. Cela peut traduire plusieurs causes : ennui, parasitisme (poux), carence (protéines, calcium, etc), surpopulation et donc dégradation des conditions de vie. Surtout, il faut avoir à l’esprit qu’en vieillissant, les poules deviennent plus agressives, et la dominance s’accentue. L’augmentation du jour constitue aussi un levier du picage que l’on peut maîtriser avec des panneaux foncés (au plafond et sur les côtés), avec des jupes perforées placées devant les ouvertures (ce que j’ai). Pour l’âge qu’elles ont, mes poules présentent un état de plumage tout à fait correct, même si autour du cou, c’est un peu plus moche. Par chance, les plumes repoussent vite.

En somme, je me sens extrêmement bien dans mes bottes d’éleveuse de poules pondeuses plein air. Mes animaux me le rendent bien, et nous évoluons ensemble. Je continue d’apprendre quotidiennement.

Côté communication, quoi de neuf ?

La chaîne YouTube s’enrichit de vidéos sur l’apiculture. Mon associé et conjoint, Alexis, a eu le souhait, en 2018, d’avoir son propre rucher, en lien avec une réflexion globale autour de la biodiversité et de l’intégration à l’environnement. J’estime que nous sommes des « résistants » aux discours montants (d’avant Covid) visant à créer une dichotomie entre une agriculture respectueuse de l’environnement et les autres qui ne le seraient pas. Dans notre manière de penser et d’agir, nous veillons à respecter les animaux (d’élevage et sauvages), la flore, les abeilles, le sol. Nous voulons montrer que produits phytosanitaires et abeilles ne sont pas incompatibles. Notre démarche est raisonnée, et nous savons l’expliquer. Vous le comprenez probablement, nous n’irons pas dans une direction « machinisme ». Il existe déjà un panel de vidéos, et YouTubeurs, important sur la conduite de cultures, sur la mécanique, sur les machines agricoles. Notre fil rouge, c’est plutôt l’intégration à l’environnement, dans le respect des besoins de la flore et la faune présentes autour de nous. Lorsqu’Alexis aborde le colza, il choisit un angle pédagogique en lien avec les abeilles et les apports pour l’homme. Lorsque j’aborde mon organisation de travail, je le fais en entrant par le rythme biologique des poules en lien avec la lumière. Nos points de vue offrent des angles ancrés dans l’environnement, pour entrer dans l’agriculture/l’aviculture. Nous avons plusieurs chantiers en préparation, comme la plantation d’arbres sur le parcours, la mise en place d’une parcelle pour nos abeilles (phacélie). Enfin, j’avais la volonté que mon conjoint me rejoigne dans cette aventure de vidéos car il sait expliquer ce qu’il fait, il est passionné et a beaucoup à apprendre au grand public sur les abeilles. Il a eu une formation complète sur l’apiculture, et se met en quête d’informations de manière régulière. Si les passionnés d’apiculture voient les vidéos sur les poules, et les passionnés de poules, celles sur les abeilles, alors nous aurons gagné un pari ! Bref, nous sommes des « agri happy à vie » ! (agriculture-apiculture-aviculture).

Pour ceux qui ne sont pas sur Twitter et qui n’ont pas encore vu nos vidéos, n’hésitez pas à aller y jeter un œil ! https://www.youtube.com/channel/UCHGkQpenJyrXgooUAyM6pWg

À la Une

Virus et engagement

« Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande » affirmait Sartre, entendant par là qu’en temps de guerre, tout acte prend le sens d’un engagement. Le contexte actuel m’a rappelé cette citation. Elle s’y applique parfaitement. Quand en effet, il nous est demandé de « rester chez nous » pour protéger les autres, voire même sauver des vies, il apparaît bien qu’un acte tout aussi anodin (quoique…), consistant à se confiner dans sa maison, relève en fait d’un engagement total envers autrui. Qui l’eut cru ?

Produire, un engagement quotidien

Lorsque je me rends au travail chaque matin, j’ai à l’esprit que je vais contribuer à nourrir la population. Je renouvelle quotidiennement cet acte et honore mon contrat. Depuis le début du confinement, encore très récent, le contexte du Covid-19 a rendu mon activité plus significative. Pourtant, rien n’a changé : mes poules ne pondent pas plus, je ne vais pas plus tôt au poulailler, et mes gestes restent identiques à ceux de la semaine précédente. Ce qui est différent, c’est la reconnaissance extérieure. La peur de manquer de nourriture a soudainement replacé les « producteurs » au centre du village (et de la ville!). Lorsque le ventre parle (par faim ou par peur d’avoir faim), il en oublie aussitôt l’agriculteur « pollueur », l’éleveur « maltraitant », et autres discours peu porteurs pour notre agriculture. Alors oui, j’ai pensé à Sartre. En temps de pandémie, comme en temps de guerre, les actes deviennent des engagements. Et nous sommes nombreux dans le monde agricole, à avoir pensé ces derniers temps que seule une crise sanitaire pourrait nous aider à retrouver la raison. C’est Sylvie Brunel qui affirmait il y a peu que nous sommes « des enfants gâtés » ayant oublié la faim et le risque alimentaire. Quelle claque dans la gueule ! Entre imaginer une crise et se trouver confronter à sa réalité, le pas a été franchi trop rapidement. Nous sommes tous sur le même radeau de fortune, et essayons cette fois de ramer dans le même sens. La pénurie alimentaire aura -t-elle lieu ? Je l’ignore. Mais le confinement implique que les familles mangent à présent 3 fois/jour chez elles, modifiant ainsi les besoins (par rapport à la restauration collective arrêtée à présent, par exemple) et poussant à réorganiser les productions, d’autant plus que les achats s’orientent vers des produits phares, basiques comme le lait, les œufs, etc. Autrement dit, certes nous connaissons le « restez chez vous », mais il devrait être corrélé au « laissez-en pour les autres », deuxième acte d’engagement envers autrui. Force est de constater néanmoins que les filières ont su prendre les choses en mains dès le début de la semaine. J’en ai profité pour remercier ma coopérative qui fait absolument tout pour que les productions se déroulent dans les meilleurs conditions. Les œufs s’écoulent normalement, les poules ont leur aliment… les semences prévues devraient arriver d’ici peu. Ainsi, les coopératives, les filières, les acteurs de l’agro-alimentaire, les transporteurs ont su s’organiser pour poursuivre la mission de nourrir la population, même si déjà des difficultés apparaissent avec le manque évident de main d’oeuvre.

La campagne, poumons verts

Aussi, de mon bureau où je fais rouler des œufs et souffle sur des plumes, je pense à ceux qui n’ont pas la chance que j’ai de vivre ici, en pleine nature. Là encore, cette réalité prend plus de sens, depuis le confinement. Il y a peu de temps encore, de leur ville, certains nous donnaient l’injonction de mieux respecter notre environnement. Où sont-ils à présent ? Font-ils partie des exodes massifs de lundi dernier ? Ont-ils soudainement eu la réminiscence qu’on respire mieux à la campagne, malgré l’odeur des vaches ? Enfin le coq peut chanter, même en présence de citadins. La campagne a repris sa place de poumons verts, au lieu d’être décriée.

C’est ainsi qu’une autre réflexion m’est venue : si le confinement humain frappe aujourd’hui de plein fouet une partie de la population sur terre dans le but de limiter la propagation d’un virus, l’on peut comprendre aisément pourquoi les animaux d’élevage sont, pour certains, enfermés dans un bâtiment. La pression environnementale est parfois trop élevée pour que des animaux puissent vivre en extérieur. C’est ce que nous vivons actuellement. Et il apparaît alors que le bien-être animal trouve son essence dans la sécurité sanitaire. Quand je sors mes poules, je prends des risques. Je vis avec ça. Je maîtrise moins bien la consommation, je dois veiller davantage aux passages viraux, je veille d’autant plus à la biosécurité, etc. Bref, autant d’éléments qui peuvent impacter la production d’œufs. J’apprécie particulièrement de voir mes animaux dans leur parcours. Mais le jour où une maladie viendra gâcher ce plaisir, j’aurai meilleure conscience en laissant les poules confinées, si ce n’est pas trop tard. Par conséquent, si cette réflexion sur la manière dont on protège une population d’un virus pouvait avoir un effet sur l’acceptation de la complexité des élevages, ce serait une bénédiction. Avoir des animaux dehors ne signifie pas systématiquement que leur bien-être est respecté.

Je vous propose une petite vidéo humoristique autour de cette réflexion : https://twitter.com/JoliesRousses/status/1240390650127945735

Alors certes les odeurs naturelles de merde sont plus présentes à la campagne qu’en ville, les animaux ne sont pas tous dehors et les mouches sont plus nombreuses, mais l’élevage façonne l’îlot de verdure que les citadins sont venus rejoindre en période de crise sanitaire. Sans élevage, sans agriculture, c’est de la brousse qui prendrait le relais. Pourvu que cette terrible crise sanitaire puisse ouvrir la fenêtre sur ces paysages conservés, sur ces levers de soleil presque divins et sur la biodiversité préservée. Vous le comprenez aussi, je trouve absolument injuste et révoltant qu’il faille passer par un tel épisode viral pour qu’enfin certains professionnels soient entendus et reconnus (secteur de la santé, du transport, de l’agriculture notamment). Alors espérer qu’on en tire du positif dans l’après-crise, c’est une manière de mieux vivre ce qui se passe.

Et si l’acte de se souvenir de tout cela dans quelques mois pouvait constituer un véritable prochain engagement ?

Je vous souhaite de bien prendre soin de vous.

Raconter son aventure professionnelle : une main tendue vers l’Autre.

À la Une

Elles commencent à faire parler d’elles, les 15000 cocottes rousses. Au départ timides, elles ont pris petit à petit leur place dans le paysage des agri-communicants. L’objectif de départ est plutôt simple : il s’agit de partager le métier d’éleveur de poules pondeuses plein air et la production d’œufs de consommation avec un public, le plus large possible.

A chaque réseau son rôle

D’abord sur Twitter, réseau que je connaissais plutôt bien, j’ai pris la décision d’étendre ma présence face à l’intérêt grandissant de mes abonnés, dont le nombre augmentait. Voici en quelques lignes comment je fonctionne avec mes réseaux :

  • Twitter (https://twitter.com/joliesrousses) : circulation de l’information, veille sur la filière volailles, création de tweets pédagogiques. Sur Twitter, j’ai vraiment un pied dans la sphère agricole et para-agricole. J’ai le sentiment d’appartenir à un groupe très large, ouvert et actif d’éleveurs et plus globalement d’agriculteurs. L’intérêt pour moi se trouve dans la possibilité d’échanger directement avec les producteurs, plutôt que de passer par des médias.

Public visé : très large, professionnel, monde agricole et de la communication.

  • Instagram : quelques « belles » photos partagées avec mes abonnés ont pour objectif de présenter des instants précis. Je commente très rarement les photos, chacun pouvant les interpréter selon ses humeurs. Ce réseau m’apporte un panel incroyable de photographies prises par des agriculteurs, des éleveurs pour beaucoup. Quel talent !

Public visé : jeune, professionnel

  • YouTube (https://www.youtube.com/channel/UCHGkQpenJyrXgooUAyM6pWg) : depuis peu de temps, je suis sur YouTube dans le but de partager une vidéo par mois autour de mon élevage et du bien-être de mes volailles. Cela demande du temps de préparation, prises vidéo et montage. Il faut en poster régulièrement pour que la chaîne puisse vivre tout en veillant à se garder du temps pour la vie personnelle.

Public visé : tout public

  • Blog sur WordPress : ce blog me permet de prendre du recul sur mon expérience nouvelle tout en partageant ma réflexion qui peut croiser celle d’autres éleveurs juste installés. Je pense que le canal de l’écriture-lecture apporte de la sérénité, du calme, contrairement à une vidéo ou une photo. La lecture demande un temps, propose une pause. Et pour moi, tenir un blog est essentiel pour proposer cette pause à qui veut bien la prendre.

Public visé : plus restreint sans doute que sur les autres RS

Un début d’année 2020 riche en communication !

Depuis mon installation en aout dernier, j’ai accueilli plusieurs journalistes du monde agricole dans mon élevage. Chacun s’est déplacé pour aborder la professionnelle que je suis. Et dans ce contexte précis, j’accepte les propositions de rencontres. Parler de ma reconversion professionnelle, de mon envie de communiquer, de mes poules et leurs œufs : je sais faire ! D’ailleurs, je vous propose de lire l’article de Réussir Volailles qui porte sur ma communication : https://www.reussir.fr/volailles/avec-son-pseudonyme-jolies-rousses-la-productrice-doeufs-lucie-gantier-communique-sur-les-reseaux

 Il m’a été proposé de participer au projet « Oser être agricultrice », porté entre autres par la Commission Agricultrice de la FDSEA85, et qui a notamment abouti à un livret de présentation de 85 agricultrices vendéennes. Ce fut une expérience riche et valorisante ! Mon portrait a été dressé, fidèle à celle que je suis, parmi d’autres agricultrices aux parcours variés et passionnants.

Un journaliste de Agri-Maker (https://www.agri-maker.com/home) est également venu à ma rencontre, et il rendra compte de son travail formidable d’ici quelques jours. Il a abordé ma reconversion professionnelle, ma nouvelle activité, ma communication sur les RS. Ce temps d’échanges avec lui fut une belle occasion pour moi de faire le point.

Récemment, quelques 2-3 autres propositions m’ont été faites, trop discrètes dans leur première approche, moins assumées que les sollicitations précédentes. Il s’agissait notamment de journalistes de chaines nationales qui cherchaient à me joindre, ou à m’avoir par messagerie. Par respect et curiosité, j’accepte le premier échange afin de comprendre ce qui amène aujourd’hui un journaliste vers moi. Et dans ces rares cas, ce n’était pas moi que les journalistes voulaient rencontrer mais plutôt un éleveur qui communique sur son métier, luttant contre l’animalisme violent, l’agribashing (au choix), etc… Ils semblaient plutôt chercher à traiter une cause, une idée, un concept, qu’un autre agriculteur communicant pouvait aussi incarner. Et ces propositions-là, je les refuse systématiquement. Je n’hésite d’ailleurs pas à renvoyer les journalistes vers des groupes ou des personnes compétentes et aptes à répondre sur ces thématiques.

Je l’affirmais ce soir sur Twitter : ma communication est locale, enracinée, et je l’assume. J’ai un élevage qui nécessite ma présence quotidienne. Et je priorise mes absences pour mon engagement local au sein d’organisations qui soutiennent l’activité agricole. Car quand je dis que ma communication est enracinée, je sous-entends aussi que je préfère mettre l’accent sur des rencontres avec les personnes qui font vivre mon territoire. Et à ce niveau-là, mon planning est très chargé. J’en suis heureuse bien que cela m’oblige à décliner des propositions (de tables rondes, de rencontres avec des étudiants, etc). Il ne m’est pas possible de tout accepter, et mes interlocuteurs le comprennent. Chaque sollicitation me rend heureuse et me donne le sentiment que je participe à faire bouger les lignes, à mon petit niveau (soyons modestes!).

Un équilibre à trouver avec autrui

Pour qu’une communication fonctionne, il convient de dire que toutes les conditions doivent être réunies. Aussi, j’accorde toujours le bénéfice du doute à celui ou celle qui vient vers moi en m’accusant d’être responsable de la mort de milliers de poules chaque année, ou qui me demande d’améliorer encore les conditions de vie de mes animaux en leur proposant de l’herbe (ce qu’elles ont déjà). Ces manières de se faire interpeller violemment deviennent de plus en plus nombreuses, au fur et à mesure que mon nombre d’abonnés augmente. Pour beaucoup, ces interlocuteurs cherchent à s’en prendre à un éleveur pour mettre en avant leur combat, leur cause. D’autres ne prennent simplement pas le temps de regarder le profil de la personne à laquelle ils s’adressent. Pour les premiers, ils vivent leur cause en allant provoquer ceux qu’ils prétendent combattre, ils se servent de la notoriété pour se faire leur notoriété. Donc soit j’arrive à calmer les échanges, et alors je laisse l’interlocuteur libre de voir ce que je communique, soit je me rends compte que je fais face à une personne qui alimente sa haine de mes réponses et je la bloque assez rapidement pour ma tranquillité d’esprit. Dans tous les cas, ce n’est pas moi qu’ils viennent voir, mais bien une personne qui incarne une idée (contraire à la leur). Finalement, ils sont dans une démarche assez proche des journalistes de grandes chaînes dont je parlais précédemment. Et je refuse d’en être, dans l’un ou l’autre cas.

Hormis ces quelques interpellations violentes, la bienveillance domine. Les marques de sympathie, les encouragements, les remerciements m’apportent quelques bouffées d’air nécessaires pour renouer avec ce qui m’anime, et me pousse à communiquer. Quand plusieurs personnes de la filière volailles m’avouent que ma communication joue un (modeste, petit,…) rôle pour la filière, alors j’en suis extrêmement satisfaite. Et je sais que d’autres éleveurs y participent aussi, et que petit à petit, notre communication aidera le grand public à mieux connaitre la production de volailles en France. Mon quotidien professionnel n’est qu’une recherche constante d’un équilibre entre ce que les cahiers des charges me prescrivent, mes envies, mes obligations techniques, mes moyens matériels, mes connaissances, le bien-être de mes animaux, le respect de l’environnement, la communication positive, et ma rencontre avec l’Autre. Et j’espère très vite parvenir à dépasser une communication égocentrée (que je maîtrise évidemment le mieux) pour aller vers une communication plus ancrée sur mon territoire, et ouverte sur l’Autre. J’ai déjà quelques idées en tête. A suivre…

Meilleurs Vœux !

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Quand 2019 rime avec production d’œuf !

Elle fut belle, magnifique, somptueuse, heureuse, rythmée cette année 2019 ! En pleine reconversion professionnelle un peu osée, j’ai concrétisé un projet avicole avec mon conjoint (et associé) : un poulailler de 2000m² accueillant 15000 poules Plein Air. Sans mon compagnon de chaque instant l’idée même de m’installer en agriculture n’aurait jamais germé. Pour une meilleure qualité de vie, il nous est apparu que créer un atelier de production d’œufs sur le site existant serait un atout essentiel. Et après cinq mois de fonctionnement, j’avoue que je m’y retrouve complètement. Je me sens libre, responsable, autonome, bref loin de modèles paternalistes et avilissants que l’on peut retrouver parfois dans le monde professionnel. J’ai fait le choix du système d’intégration : je ne maîtrise ni l’amont ni l’aval de ma production. Et pourtant, je me sens libre. Pourquoi ? Tout simplement parce que je décide de tout ce qui concerne mon élevage. La liberté n’est pas une absence de contraintes mais une pleine conscience de ces dernières et la mise en place d’un champ d’actions au sein de celles-ci. Par conséquent, je me sens libre et heureuse. Je me sens à ma place.

L’année 2019 m’a apporté du lâcher-prise, de la sérénité, de la fierté aussi un peu. Faire de l’élevage, c’est s’intéresser au présent : à chaque jour suffit son lot d’ événements à interpréter pour prendre des décisions justes et bienfaisantes pour les animaux. Les outils eux-mêmes amènent à cela : contrôler la consommation d’eau, d’aliment, observer les animaux, compter les œufs, contrôler la qualité des coquilles, etc. La projection vers l’avenir se fait moins forte car le quotidien prend plus d’importance, plus de sens. Il fut une époque où j’étais toujours dans l’anticipation abusive et tentais de tout prévenir, quitte à empêcher des occasions, à m’empêcher aussi un peu. A présent, je conserve cette capacité à anticiper mais seulement dans la prise de décision, corrélée à l’observation. Je n’anticipe plus pour me préserver d’une éventuelle difficulté, je réagis à la difficulté quand je la sens arriver. Autrement dit, je laisse libre cours aux événements et agis en conséquence. Cela a son importance dans l’élevage et dans la vie personnelle. Ça fait un bien fou !

La poule, la brute et le truand

L’année 2019 m’a apporté son lot de westerns ! Communiquer sur l’élevage n’est pas de tout repos. Et j’ai envie de penser que des images de poules qui vont bien, qui vivent bien, c’est autant agréable, rassurant que dérangeant.

Pour peu que je montre mes poules en photo ou vidéo, j’ai en retour des remarques sur leur qualité de vie, sur l’intensivité de mon élevage, sur le ridicule de mes choix d’enrichissement. Et l’on me souhaite d’aller en prison, l’on me juge, l’on me prend pour une tortionnaire. Mais quelle est donc cette cause si importante qui nécessite que l’on dégueule sa haine sur l’Autre ? Impliquant ainsi que l’on devienne une « brute » ? Je ne comprends pas. Je ne comprends pas qu’au nom de ses propres croyances l’on puisse ainsi être haineux, violent, envers autrui. Certains auraient-ils donc le sentiment aujourd’hui d’avoir les trois pouvoirs ? Ça y ressemble en tout cas. Ceux-là, je m’en préserve à coup de blocages : s’ils pensent que je leur donne raison, en réalité je ne fais que gagner du temps et de la sérénité. Je ne suis le truand de personne, pas une cible à viser, cela ne m’intéresse pas. Je fais le choix d’échanger avec des personnes avant tout respectueuses car je suis respectueuse de l’autre. Ça, c’est mon combat (oh oui c’est un combat !). J’ai eu la chance durant cette belle année de rencontrer des personnes formidables, passionnées par leur métier. J’ai été tellement bien accueillie par le monde agricole que je ne serai sans doute jamais assez reconnaissante envers chacun de ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à mon projet, à ma communication.  

La France Musée : utopie d’une nouvelle décennie ?

L’année 2019 m’a offert un bouquet garni, un tout incohérent dans lequel j’ai tenté de mettre du sens, entre (re)création d’une qualité de vie familiale et disparition subite de proches, entre envie de communiquer et confrontations de mondes incapables de communiquer ensemble, entre joie de faire partie d’un monde agricole performant, respectueux et désespoir de constater les prises ne décision au plus haut niveau tuant à petit feu ce même monde agricole. J’ignore où donner de la tête tant les contradictions sont nombreuses et fortes. Les discours poussent à la production biologique quand les marchés se ferment dans le même temps ; des ZNT sont votées lorsque l’on démontre enfin que les tests des pisseurs volontaires étaient malhonnêtes ; certains voudraient voir la fin de l’exploitation des animaux quand on nous demande de revenir au cheval de trait (de Troie ?). Il faudrait pouvoir vivre à la campagne sans coq, sans odeur, sans bruit. Il faudrait ne plus manger de viande, ne plus se reproduire, ne plus grossir, ne plus conserver ses mails dans sa boîte de réception, ne plus rire aux éclats (car trop bruyant), etc. J’ai comme l’impression que l’on souhaite une France Musée.

« Venez voir la France Musée, le seul pays au monde entièrement propre et touristique ! Vous pourrez louer une chambre en campagne et voir le coq qui ne chante pas, manger des œufs bio sans poulailler, manger du foie gras cellulaire garanti sans élevage de canards, voir des « paysans » et leur chevaux de trait qui produisent trois fois rien, pour le bon plaisir des yeux seulement. Voyez comme nous avons su revenir aux valeurs d’antan : Magnifique France Musée qui importe tout pour ses touristes et ne garde que quelques vieux métiers pour la vitrine ! »

Ce tableau est sans aucun doute un peu grossier, quoique…

Meilleurs v’œufs pour 2020 !

2019, ce fut cette année complexe, belle, nouvelle, réjouissante. Et pour 2020 ? Pour 2020, j’en souhaite tout autant. Il y aura probablement des brutes, probablement des prises de décision allant à l’encontre de l’agriculture, probablement des conflits qui s’exporteront dans les rues. Et puis chaque jour continuera d’apporter ses bons moments, ses évènements, ses œufs. Chaque jour j’apprendrai, je grandirai encore, je découvrirai.

Je souhaite que 2020 soit une belle année, avec moins d’agribashing, moins de radicalismes, moins de haine. J’ai l’espoir qu’avec toute cette communication des agriculteurs, qui prend de plus en plus d’ampleur, les consommateurs-citoyens parviendront à s’y retrouver dans leurs choix, dans leur portefeuille sans avoir de pression culpabilisante sur leurs épaules. J’ai le souhait que les plus petites exploitations puissent survivre à une nouvelle année qui démarre déjà difficilement au niveau des semis. J’ai l’espoir que plein de jeunes s’installeront et assureront la continuité d’une agriculture protéiforme, complexe, riche de ses diversités.  

Devenir éleveuse

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Bienvenu à toi, Jolie Rousse!

Elles sont arrivées un matin, ne comprenant pas vraiment ce qui leur arrivait. Pour la première fois de notre vie, nous avions 15000 animaux à notre charge. Jusqu’alors, nous avions été menuisiers, maçons, terrassiers, etc ; bref, nous avions construit un bâtiment. Et là, d’un coup, nous accueillions 15000 rousses à plumes, tout aussi perdues que nous.

Nous leur avons accordé quelques heures pour retrouver leurs esprits. Pendant ce temps-là, nous prenions en main les aspects techniques : utilisation de l’Avibox, quantités d’aliment, d’eau, ventilation. Chaque donnée était scrutée afin de s’assurer qu’elles trouvaient bien de quoi se nourrir et boire. Finalement, lorsque le 2e jour arrive, leur présence rassure : tout prend enfin sens !Dès leur arrivée, beaucoup de poules sont descendues dans le gisoir (la zone de grattage). Face à cela, il nous a fallu agir car elles ne peuvent trouver ni eau ni aliment dans cette zone ; tout se trouve sur le caillebotis. Aussi, il fallait revenir tous les sois pendant plusieurs jours pour remonter les poules : prenant ainsi l’habitude de dormir en haut, sur le caillebotis, elles sont certaines de trouver eau et aliment le matin en se réveillant… et aussi le nid ! Et ainsi, le 2e soir, nous avons remonté pas moins d’un tiers des poules (oui, 5000…) soit deux heures 1/2 environ à deux. Le 3e soir, autour de 2000 puis ça a diminué au fur et à mesure jusqu’à une centaine. Si les poules ne sont pas remontées au début, alors elles s’affaiblissent et meurent de faim, de soif, d’épuisement dans le gisoir.

Hors du nid tu ne pondras point !… ou peu

L’autre combat à mener dès le départ, outre celui de les aider à trouver eau et nourriture, consiste à les amener à aller aux nids. Il faut quand même savoir qu’un groupe de poules peut vite s’adonner à des comportements typiques d’un sentiment d’insécurité, s’appuyant sur leur instinct grégaire. En effet, elles arrivent dans un nouveau bâtiment qui ne ressemble en rien au précédent, elles sont fatiguées par le transport, elles n’ont aucun repère.  Aussi, elles peuvent créer des pyramides (qui les sécurise), notamment sur des zones de jonction et se pondre les unes sur les autres. Elles peuvent donc très rapidement être un nombre important à pondre hors du nid et à manger leurs œufs (puisqu’ils cassent lors de leur chute). Par conséquent, dès le début, j’ai « brassé » les quatre lots : cela consiste à passer régulièrement sur les caillebotis afin de créer une zone d’inconfort. Plus les poules sont dérangées sur leur espace de vie et plus elles iront vers le nid pour pondre car, en principe, une poule ne pond que là où c’est confortable pour elle. Notre lot est monté très vite en ponte, avec deux semaines d’avance sur leur courbe : le brassage a donc eu un impact mais il fut insuffisant : 966 œufs, c’est le nombre maximal atteint sur la ponte hors nid. Après un mois, nous sommes descendus à 600 œufs au « sol », pour en finir aujourd’hui à 460 en moyenne. Cela augmente le travail quotidien sans le rendre désagréable. Il arrive parfois que l’éleveur ramasse 2000-2500 œufs au sol, pour des lots de 10000 à 15000 poules. Et rien ne nous en préserve pour les prochains lots !

Je ne vais pas rentrer dans les détails techniques mais le fait de se sentir en sécurité ne constitue pas le seul facteur d’une ponte dans le nid : il faut jouer avec les lumières, la ventilation, les heures de repas, etc. En somme, faire en sorte qu’une poule ponde dans un nid, c’est tout un travail !

Souris, tu es scrutée !

 Les jours passant, j’ai appris à me faire confiance et à prendre conscience que j’avais les clés pour mener mon lot vers un certain objectif de productivité tout en veillant au bien-être des poules. En l’absence de formation sur l’aviculture, mon appui principal est ma technicienne, Sophie, qui intervient régulièrement (1 à 2 fois par mois) et se montre disponible à distance. A chaque rencontre, elle m’apporte de nouveaux éléments pour enrichir mes grilles d’observation. Petit à petit, mes observations sont orientées, je sais quoi regarder. Au début, je regardais tout et plaçait tout sur le même plan. Et avec les clés fournies par Sophie, j’ai mis de la perspective sur mes observations. D’ailleurs, je ne fais pas « une » observation mais plusieurs : eau, aliment, comportement de la poule avec ses congénères, bien-être physiologique (crête, état du plumage, état des fientes, etc), déplacement du lot et occupation de l’espace, qualité de l’air, etc. sont autant de points sur lesquels je m’attarde lors de mes passages dans le bâtiment. Dans le sas, j’observe les œufs : couleur de la coquille, présence de grains sur la coquille, nombre, présence de sang, etc.Je dois avouer qu’au commencement, j’avais le sentiment que tout venait toujours trop tard : j’observais des faits qui me semblaient anormaux sans pouvoir les interpréter et donc intervenir. Je crois que la ponte au sol du départ est aussi liée à cela. Le manque de formation initiale a donc eu un impact sur le lancement de ce premier lot. Néanmoins, j’estime avoir à présent les outils en mains pour l’an prochain. Il manque, à mon sens, un petit module de formation de quelques heures pour les novices.

Afin de poursuivre mes apprentissages, j’ai décidé de compléter les apports de Sophie par un MOOC sur l’aviculture (https://www.my-mooc.com/fr/mooc/laviculture-une-filiere-davenir/). Les modules sont complets et bien construits, alternant divers supports et intervenants. Cela permet d’en apprendre plus sur l’organisation de la filière, sur la physionomie de la poule, sur ses besoins, etc. Je vais aussi utiliser l’application EBENE (https://www.itavi.asso.fr/content/protocole-ebene-guide-pour-les-utilisateurs) mise en place par l’ITAVI (Institut Technique de l’AVIculture). Téléchargée sur smartphone ou tablette (Androïd seulement), l’application se présente comme un questionnaire à compléter, qui permet ensuite d’obtenir une évaluation portant sur diverses facettes du bien-être animal. Elle prend appui sur des critères élaborés conjointement par les acteurs de la filière volailles et des associations de défenses du bien-être animal. Je n’ai pas encore pris le temps d’aller au bout de la première évaluation : j’en étais à compléter les premiers éléments techniques et matériels (taille du bâtiment, nombre d’animaux, ventilation, nombre d’assiettes, pipettes, etc). Il m’est apparu que cela allait prendre un peu de temps et nécessite donc je fasse mon évaluation plutôt en après-midi, lorsque mon travail de ramassage et tri des œufs est effectué. J’espère donc poursuivre mon usage de cet outil ces prochains jours.

Plus j’en apprendrai et plus j’aurai de critères qui me permettront de répondre au mieux aux besoins de mes poules. Etre éleveur, c’est clairement mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour que les animaux se sentent dans des conditions telles qu’ils peuvent produire ce que l’on attend d’eux. Les arguments qui tendent à affirmer que les éleveurs ne prennent pas soin de leurs animaux ne sont pas tenables. Et même si les animaux sont voués à une mort certaine (comme tout être vivant!), leur qualité de vie constitue notre préoccupation principale. Faire preuve d’anthropomorphisme ne peut en rien apporter des clés pour comprendre ce que sont réellement nos animaux. C’est au contraire nier leurs besoins et les nôtres.

Un mot, une lettre, et un article !

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Je ne prendrai que rarement position dans mon blog, le but étant plutôt de partager mon expérience de nouvelle installée. Parmi tout ce fatras d’opinions disponibles ici ou là, mon avis importe sans doute bien peu. Néanmoins, je fus impliquée récemment dans une petite histoire et je tenais à la partager, une dernière fois.

Que s’est-il passé ?

Lors d’un Conseil municipal de la ville située à proximité de mon village, les élus ont abordé le projet d’installation d’un couple voisin. Ce dernier a en effet dans l’optique de construire un bâtiment d’élevage pour produire du poulet standard. Au moment d’aborder cette création, une conseillère explique que dans notre village, il existe déjà un élevage « intensif » de 15000 poules. J’ignore ce qu’elle entendait par ce mot mais toujours est-il qu’elle semblait s’opposer à divers types d’élevage, parlant aussi de « chèvres consignées ». Alors, pour l’éclairer un peu, et parce que la vidéo du Conseil Municipal est accessible à tous, j’ai décidé d’écrire une lettre au maire et aux conseillers : cet élevage qualifié « d’intensif », c’est le mien. A priori, je suis la mieux placée pour leur apporter des informations sur ce bâtiment et la conduite d’élevage qui y est menée.

Cette lettre, je l’ai publiée sur mon compte Twitter, pensant que cela pourrait aussi éclairer d’autres personnes ; aussi j’avais enlevé tout élément permettant d’identifier les personnes ou les lieux, le but n’étant pas de les stigmatiser.

A la suite de cela, j’ai été contactée par des élus du territoire sud-vendée pour organiser une visite de notre bâtiment. J’y ai répondu positivement en demandant simplement un petit laps de temps pour que nous puissions être vraiment disponibles. J’ai également échangé rapidement avec un représentant du maire. Je remercie donc les élus pour leurs retours.

Dans le même temps, La France Agricole a publié un article, centré sur l’absence de débouchés en production d’œufs bio pour cette année, revenant donc sur le contexte de fin 2018. http://www.lafranceagricole.fr/actualites/installation-faute-de-debouche-ils-abandonnent-leurs-projets-en-bio-1,10,1582242201.html

Et il en ressort que les futurs producteurs sont effectivement soumis à la dure loi du marché : notre coopérative, la CAVAC, fait le choix assumé de ne pas installer des producteurs si le débouché n’est pas assuré. Elle ne souhaite donc pas « inonder » le marché, contrant ainsi le risque de faire chuter les prix, notamment en bio. La coopérative protège donc les éleveurs en place en ayant la main sur les installations. Quoi de plus cohérent ? Même si cela oblige certains à attendre longtemps, ou à revoir leur copie, ou bien encore à abandonner (non sans souffrance), ce fonctionnement parait économiquement sain.

Cette histoire aura au moins eu le mérite de mettre au jour le fait que les demandes en bio ne sont pas aussi fortes qu’on peut parfois le croire. Si la consommation d’œufs bio a augmenté au 1er semestre 2019, il convient tout de même d’ajouter que ces œufs produits sont, logiquement, issus de nouveaux bâtiments construits durant l’année 2018, début d’année 2019 : ils sont donc issus de réflexions menées depuis 2017, début 2018. Ce regard est rétrospectif, alors que les coopératives ont un regard « préalable » et visent déjà 2020, 2021. Il existe donc un décalage temporel important entre les chiffres liés à la consommation réelle et les demandes qui les précèdent (issues de groupes de l’agro-alimentaire). Il peut y avoir un à deux ans entre le moment où le contrat est signé (et donc où la démarche de construction peut être lancée) et la mise sur le marché des œufs. En ce qui nous concerne, comme nous avions déjà fait des démarches préalables pour une production bio, il ne nous a fallu que 9 mois entre l’acceptation de la production Plein Air et l’accueil des poules, incluant donc les nouvelles démarches administratives et la construction du bâtiment.

Intensif or not intensif ?

S’arrêter sur ce mot constitue un piège, celui de ne pas voir ce qui gravite autour. Plusieurs commentaires me demandaient d’ailleurs : en quoi ce mot est-il vulgaire ? Et je répondais que je n’avais pas pris position quant à ce terme ni ce qu’il cherche à montrer. Si « intensif » désigne les élevages standards, alors il convient d’affirmer que la demande est encore forte et donc que des bâtiments vont encore se construire. Et alors ? Si l’on généralise le bio ou le plein air, un problème va vite se poser : celui qui concerne le foncier. Par exemple, pour 15000 poules Plein Air, il faut 6ha de parcours (4m²/poule, comme en bio) : c’est autant de terres cultivables qui ne serviront plus à la production de céréales ou de légumes plein champ. Par ailleurs, si l’offre dépasse la demande, les prix vont chuter. Et c’est sans doute ce qui est recherché dans le bio, par exemple, notamment par quelques GMS. Mais les éleveurs n’ont pas d’intérêt à ce que cela se passe (et donc les coopératives régulent, heureusement).

Je serais plutôt d’avis que l’on valorise davantage le conventionnel ! Que l’on me donne la possibilité de faire un chiffre d’affaires égal avec 1000 poules de moins ! Et oui, car je rappelle que pour avoir un CA presque aussi intéressant qu’en bio, il me faut 6000 poules de plus… Nous aurions tout intérêt à ce que le poulet standard soit davantage valorisé pour contrer celui qui vient d’Europe de l’Est. Mais c’est la guerre des prix… et même si elle dirige nos projets, nos choix, cette guerre des prix ne nous appartient pas !

Au nom de la Terre et du dialogue

Lors du Conseil municipal dont il a été question au préalable, l’élue opposée aux projets agricoles aborde le film très en vogue « Au Nom de la Terre ». Soudain, une certaine France prend conscience des tragédies qui touchent parfois le milieu agricole. Ceux qui n’allaient que très peu au cinéma ont franchi le pas pour constater ce que l’on raconte aussi sur eux ; car au delà d’une histoire portée au cinéma par le fils d’un agriculteur, il est question d’eux. Lorsque l’agriculture et la culture se rencontrent, l’effet semble immédiat et porteur. Néanmoins, le film est parfois aussi cité à des fins plus perverses : au nom d’une volonté affichée de « protéger » les agriculteurs d’un système, il sert en fait à ne pas donner suite à leurs projets, à leur affirmer qu’ils doivent modifier leurs pratiques. C’est ce que l’on observe dans le cadre de ce Conseil Municipal.

Je dois dire que ce qui m’effraie aujourd’hui touche à la méconnaissance de personnes qui sont pourtant certaines d’avoir raison. Aussi, on a affirmé que mes poules ne vont pas dehors… alors qu’elles vont dehors. C’est-à-dire que même le vieil adage de St Thomas « voir pour croire » ne suffit plus. Il n’y a qu’à croire, sans aucun besoin de voir, entendre, comprendre ! Qui va voir son boulanger pour étudier sa manière de faire du pain ? Qui va observer son médecin pour vérifier s’il travaille correctement ? Alors pourquoi certains individus ont autant besoin de statuer sur l’agriculture ? Est-ce lié au fait que nos situations de travail sont « visibles » ? Un tracteur dans un champ, ce n’est pas un boulanger devant son four ou un médecin dans son cabinet : il est à la vue de tous et semble même faire oublier la notion de propriété privée. [Combien d’agriculteurs ont ramassé des déchets dans leurs champs ? Combien ont vu des traces de voiture ? Combien encore ont été interpellés par des passants sur leurs propres parcelles ?] Et puisque ces situations de travail ne peuvent pas être « cachées », cela a glissé vers une volonté de voir aussi ce qu’il se passe dans les bâtiments qui, eux, sont fermés. Je pense qu’il y a eu ce que l’on peut appeler « l’argument de la pente douce » : puisque les agriculteurs travaillent à la vue de tous, alors pourquoi ne montrent-ils pas ce qu’ils font dans leurs bâtiments d’élevage ? Et petit à petit, cela a amené à l’idée qu’il y avait des choses à cacher. Et ce faisant, cela implique effectivement aujourd’hui de devoir fermer à clé des bâtiments qui jusqu’alors ne l’étaient pas, notamment pour éviter des intrusions. Mais il sera difficile de clôturer toutes les parcelles !

Evidemment, tout cela fut nourri par des lignes éditoriales assumées, par des associations diverses, et tout simplement, par internet. Nous pensions avoir quitté le modèle paternaliste des années 50… nous faisons pourtant face à un tout nouveau modèle aussi avilissant que vicieux. L’instit’, le docteur, le curé… que sont-ils devenus ? Ils ont cédé la place à Internet ! Avec toutes les difficultés que cela implique en termes de tri d’informations. L’information circule vite, parfois même elle précède les événements : l’affaire récente d’un meurtrier l’a prouvé. Alors peut-être qu’il serait simplement judicieux de faire confiance au dialogue, comme complément de choix à Internet. Faisons en sorte que les écrans ne coupent pas des échanges réels. Il existe tellement d’actions de partage au sein du milieu agricole, comme par exemple monter dans une moissonneuse-batteuse pour passer du temps avec l’agriculteur, ou les fermes qui ouvrent leurs portes le temps d’un week-end. Au nom de la Terre, n’oublions pas de dialoguer.

L’agriculture, un projet de vie et une vie de projets

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Préparant une intervention future auprès d’un groupe de jeunes apprentis en agriculture, je me trouve à nouveau plongée dans les raisons, multiples et complexes, qui nous ont amenés à faire le choix de créer un atelier de poules pondeuses Plein Air avec la Coopérative CAVAC.

Ancienne formatrice de l’Enseignement Agricole, j’apprécie particulièrement les échanges, le partage sur l’Agriculture. Cette sollicitation pour aller à la rencontre d’un groupe de jeunes adultes en apprentissage sonne comme une pause intellectuelle dans la mise en œuvre du projet, permettant de prendre un peu de recul. Se souvenir des raisons, remettre du sens, cela ne peut être que positif.

Devenir maman… poule ?

Le point de départ de notre réflexion remonte à l’arrivée de notre premier enfant. Devenir maman et vouloir produire des œufs, n’est-ce pas symboliquement cohérent ? Question rhétorique qui soulève pourtant une réflexion autour de l’organisation de notre vie. A l’époque, nous vivions la période la plus heureuse de notre vie. Cependant, sur le plan professionnel, nous connaissions une perte de sens. Nous avons toujours été des passionnés, des battants dans nos emplois respectifs. Mais constater que l’un et l’autre n’éprouvaient plus autant de plaisir, pour des raisons complètement différentes, a été un déclic. Devenir une famille a impliqué le besoin de redéfinir notre projet de vie. Et j’ai sauté le pas : il ne faisait aucun doute pour nous que si je venais en renfort sur l’exploitation existante avec une nouvelle production, alors nous pourrions cumuler nos forces (et nos faiblesses) en vue d’un second souffle. Il ne nous restait plus qu’à trouver la production en question ! Et là, nous avons fait appel à nos valeurs.

Choisir et être accompagnés

Ayant eu la chance, dans le cadre du suivi des stages de mes élèves, de visiter un grand nombre d’exploitations, j’avais en tête le poulet de chair et la poule pondeuse. Nous souhaitions aller vers une production respectueuse du bien-être animal. Au minimum, nos volailles devaient aller dehors. C’était pour nous une règle sur laquelle nous ne reviendrions pas. Nous envisagions donc la poule pondeuse bio, en premier choix, et le poulet de chair bio ou label comme seconde possibilité. Plus encore, pour sécuriser notre projet, le recours à une coopérative nous apparaissait essentiel : nous avons donc sollicité la Coopérative CAVAC car nous avons confiance en eux. Aussi, après une rencontre avec le technicien chargé de développement, nous avons obtenu toutes les réponses sur la poule pondeuse bio. L’investissement financier nous semblait colossal pour un seul bâtiment de 9000 poules néanmoins le salaire dégagé en valait la peine. Nous sentions que la production « œufs » était solide et sécurisée. Au-delà de ces aspects « pratiques » et incontournables, il ressortait que beaucoup de femmes s’installaient en poules pondeuses en raison d’un travail agréable (demandant de la rigueur) qui permet aussi de passer du temps avec les enfants. La production en bio n’a pas pu être suivie, par manque de débouchés et nous avons alors fait le choix du Plein Air.

Projet de vie et vie de projets

Nous avons donc été épaulés par la Coopérative dès ce premier échange. Nous avons eu la chance de rencontrer un certain nombre d’éleveurs ou futurs éleveurs et d’obtenir de leur part des conseils, de visiter une dizaine de bâtiments (anciens, récents, en construction) afin de faire des choix de matériels et d’agencement. Nous avons été formés à la biosécurité et avons un classeur pour le suivi de l’élevage. Nous avons de nombreux échanges avec le technicien chargé de développement, avec les responsables et techniciens de Volineo. Nous apprenons beaucoup et cela donne un élan incroyable. Si bien que ce projet de vie nous mène petit à petit vers une vie de projets, dans la mesure où nous voyons aussi plus loin. L’atelier de poules pondeuses ne constitue pas seulement une nouvelle production sur une exploitation existante. Il apporte une nouvelle manière de repenser l’espace et la circulation, une nouvelle façon de réfléchir à nos valeurs et nos envies, une nouvelle vision du métier d’agriculteur. Il redonne du dynamisme à notre vie. Il recrée du sens dans cette collaboration familiale, sur un site qui vit depuis plusieurs générations. Il fut un temps où mari et femme y travaillaient, avec plaisir et passion. Ce temps-là va revivre, différemment, mais avec cette âme qui faisait que la grand-mère de mon mari, par exemple, venait matin et soir à la traite jusqu’à ses 80 ans. Pourrons-nous en faire autant ?

Pour finir, un simple et sincère merci à celle qui a fait réveiller cette réflexion du soir. A bientôt avec les apprentis !

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Ambiance et bien-être

Avant d’avoir le plaisir de vous présenter notre bâtiment et notre premier lot, d’ici quelques mois, nous en profitons pour aborder, aujourd’hui, le cahier des charges de la production d’œufs Plein Air.

La poule et son cycle en Plein Air

La poulette arrive à 18 semaines dans le bâtiment. Elle est en période de « préponte », qui peut durer entre 20 et 30 jours environ. Cette période de montée en ponte démarre lorsque les premiers œufs sont produits, jusqu’à ce que les poules atteignent 60% de ponte. Durant cette période, les poules doivent repérer le nid, afin notamment d’éviter les œufs au sol. Arrive ensuite la période dite de « ponte ». Lors de cette phase, qui constitue le rythme de croisière, le travail quotidien consiste pour l’éleveur à observer les animaux, prévenir les maladies, vérifier l’état de fonctionnement et sanitaire du matériel, ramasser les œufs au sol (selon les lots) et trier les œufs, les mettre en alvéoles et les conditionner dans une pièce climatisée. L’entretien du sas constitue également une tâche quotidienne. Il s’agit-là du travail relevant de l’élevage. C’est sans oublier aussi, les aspects administratifs et comptables (suivi technique, commandes d’aliments, etc).

En Plein Air, nous conserverons le lot 70 semaines (contre 54 en bio).

Un bâtiment automatisé pour le bien-être de l’animal et de l’éleveur

Photographie d’un bâtiment statique type « Louisiane » pour poules pondeuses Plein Air ou bio

Le bâtiment que nous avons choisi sera semblable à celui-ci. Sur une surface de 2040 m2, il se compose d’un sas et d’une salle d’élevage. Il s’agit d’un bâtiment statique (ventilation non dynamique) de type « louisiane ». Il peut accueillir 15000 poules Plein Air (9 poules/m²). L’élevage se fait au sol. De chaque côté, des fenêtres apportent un maximum de lumière, régulée par les rideaux en Makrolon. Sous les rideaux, toutes les trois travées, une trappe automatisée permet aux poules de sortir sur le parcours de 6ha. Une zone de grattage (ou « litière ») se trouve de chaque côté des caillebotis. Au centre, le pondoir occupe une place de choix. La disposition des lumières est étudiée : toute zone d’ombre peut constituer un lieu de ponte ! De plus, une ligne de lumières est disposée au dessus du pondoir : les LED s’allument progressivement le matin afin que les poules aillent au nid. Au centre du nid, légèrement en pente vers l’intérieur, se trouve un tapis : les œufs roulent donc vers celui-ci. Puis le tapis ramènent les œufs vers le sas ou l’éleveur réalise son tri et son conditionnement. Une ligne de pipettes (en hauteur sur la photo) et une ligne d’assiettes sont disposées stratégiquement près du nid. Des perchoirs sont obligatoires (non présents sur la photo car pas encore installés) à raison de 15 cm par poule. Il existe des perchoirs en A, des perchoirs plus imposants rectangulaires. Un tel bâtiment permet aux animaux d’évoluer dans des conditions plutôt respectueuses de leur bien-être. En bio, 9000 poules (en 3 lots) seraient accueillies dans ce bâtiment (6 poules/m²) favorisant davantage les déplacements.

Schéma d’un bâtiment, en ligne : http://www.itab.asso.fr/downloads/cahiers-elevage/cahier-pondeuses-web.pdf

Le bâtiment présenté répond parfaitement au cahier technique du Bio et du Plein Air. Ce schéma permet de visualiser également le sas que nous détaillerons dans un autre article.

Le parcours : des choix stratégiques à opérer

Exemples de parcours en chair, en ligne : https://agroof.net/dev_agroforesterie-recherche/fichesR&D/docs/typologieVolaille.pdf

En Bio ou en Plein Air, chaque poule doit avoir 4 m² disponibles en extérieur. Autrement dit, pour 15000 poules, c’est un parcours de 6 ha qui est nécessaire. Quitte donc à occuper cette surface, autant l’arborer et l’aménager afin que les animaux y vivent correctement. Le CASDAR propose divers aménagements possibles (schémas ci-dessus), notamment pour le poulet de chair. Selon la configuration déjà existante des lieux, le parcours peut donc varier d’un bâtiment à l’autre. Devant les trappes, on peut questionner la présence de petites haies pour couper du vent et inciter les poules à sortir. Plus loin, c’est l’ombre qui est recherchée, et l’abri des prédateurs éventuels. Le parcours pourrait aussi servir à l’implantation de ruches avec des petites haies mellifères. Notre réflexion actuelle est encore vague mais faire collaborer les poules et les abeilles nous semble un point intéressant.

En espérant que cet article a pu apporter quelques éléments de réflexion, n’hésitez pas à lire en ligne… Il existe de très bons documents sur l’élevage de poules pondeuses et l’aménagement de parcours (doc à télécharger). Merci pour votre attention et à bientôt !

Des poules, des moissons et des interrogations

« Q’une chose soit difficile doit nous être une raison de plus pour l’entreprendre »

Rainer Maria Rilke

Un printemps et début d’été en demi-teinte

Toute poule dehors !

Après un hiver de confinement pour les poules en raison de la grippe aviaire, nos animaux ont pu mettre leurs pattes dehors fin mai. Contraintes de rester dans le poulailler depuis fin octobre, n’ayant donc jamais mis leurs plumes dans le parc, ce fut une libération ! Libération pour nous, de les voir enfin dans le parc de 6ha, de remettre du sens sur notre métier, de pouvoir leur accorder l’espace qui leur revenait de droit. Libération pour elles, bien qu’elles n’aient jamais vraiment eu conscience de ce monde extérieur. Nous avions tout de même obtenu une dérogation de la DDPP, dès avril, pour les garder sur le trottoir, leur accordant ainsi la possibilité de prendre le soleil tout en limitant au maximum le contact avec l’avifaune sauvage porteuse potentielle du virus.

Ainsi, fin mai, sous un beau soleil, les jolies rousses ont pu gouter à la fétuque qui les attendait, gratter dans la terre, déployer leurs ailes au grand air. Est arrivé un épisode de chaleur, suivi d’un épisode d’orage sur plusieurs jours : les poules ont diminué grandement leur consommation d’aliment, faisant chuter drastiquement la ponte. On dit qu’une poule pond par le bec : une poule qui mange, c’est une poule qui pond. Alors là, face à ces assiettes qui restaient pleines, les œufs ne pouvaient que chuter aussi. En partageant mon expérience, nombre de commentaires d’éleveurs ont confirmé cette tendance générale sur leurs animaux. Nous avons passé un hiver avec des volailles confinées : elles vivaient donc dans des poulaillers offrant des conditions « stables » en termes d’humidité, vent, température, etc. Et d’un coup, cette sortie à l’extérieur sous ce soleil de plomb a fortement impacté leur capacité à s’adapter. Les poules allaient bien, le comportement était bon, néanmoins elles mangeaient beaucoup moins. Des écouvillons ont été réalisés pour déterminer un éventuel passage viral : tout est revenu négatif. En travaillant davantage autour du vide d’assiette (on exige des poules de vider une fois/jour leur assiette pour qu’elles mangent tout ce qui est essentiel dans l’aliment), en allongeant le temps de consommation du matin, les choses ont fini par rentrer dans l’ordre, en même temps que les températures restaient stables. Sur les 16% de ponte en moins, nous avions repris 11%. Et puis cette semaine, la chaleur est revenue : elle a impacté la consommation dès le premier jour. Alors à nouveau, nous avons travaillé sur ce vide d’assiette et limité ainsi la baisse de consommation connue précédemment. Finalement, ça se maintient. Nous croisons les doigts pour que cela dure.

Des moissons sans fanfare

Côté moisson, le temps a évidemment eu aussi des incidences : pluie excessive et continue sur un blé dur qui était mûr mais ne pouvait pas être récolté : germination. D’année en année, le temps des moissons n’est plus vraiment un temps de fête. Nous partageons ce moment en famille, il marque l’aboutissement de plusieurs mois de travail. Mais un goût amer l’accompagne depuis quelques temps : crainte de cette germination, rendements parfois moins bons, créneaux de récolte de plus en plus serrés. Les prix sont là, en tout cas meilleurs que les années passées, mais puisque la qualité est moins bonne, des pénalités vont s’appliquer (oui, l’agriculteur est soucieux de produire de la qualité, tout comme les filières!). Le maïs semble bien parti, tout comme le tournesol. Nous pouvons espérer une seconde étape de moissons plus joyeuse, si d’ici là, le ciel ne nous tombe pas sur la tête !

Bref, ce printemps et ce début d’été raisonnent en demi-teinte. Nous nous levons chaque jour pour travailler dur, nous faisons des sacrifices énormes (pas de vacances, week-end, etc), nous avons beaucoup investi pour mener à bien nos projets et pourtant, nous savons que cette année sera peu porteuse pour nous.

Ah les œufs dont personne ne veut !

Pour couronner le tout, le fait est que le marché des œufs AB et Plein air connait un repli important. Les centres de conditionnement ne savent plus quoi faire de leur marchandise. Le déconfinement couplé aux vacances d’été impacte fortement la consommation en GMS. Le fait est aussi que les consommateurs sont majoritairement plus regardants sur les prix que sur le mode d’élevage, contrairement à ce que les médias laissent entendre. Or produire du plein air ou du bio au prix de la cage, c’est impossible. Et cela ne va pas aller en s’arrangeant ! Un nouveau cahier des charges en poulettes bio va faire augmenter le coût des poules bio, tout comme le sexage in ovo qui s’appliquera à partir de 2022 sur l’ensemble des modes de production. La filière œuf va encore connaitre de grands bouleversements alors même qu’elle ne fait que s’adapter en permanence à la demande dite « sociétale » (non traduite en magasin, je le répète). Alors même si je suis une éternelle optimiste, je me demande tout de même parfois comment nous allons pouvoir mener tout cela de front. Quand je dis nous, je parle du collectif.

Je pense que des décisions sont effectivement nécessaires, comme celle du sexage in ovo, permettant de ne plus éliminer, après éclosion, les poussins mâles que l’on ne peut pas élever (pas conçus pour la chair). Il était même temps ! Néanmoins, prêtons attention à ne pas tomber dans des excès, des situations où l’on va augmenter le coût de production de l’éleveur, toujours lui demander plus, sans lui apporter de plus-value. Car si l’on observe que les œufs premiers prix sont toujours les plus sollicités, il n’y a aucune raison pour que cela change demain. Et le risque est de continuer à boucher ce marché des œufs alternatifs, de tenir un discours qui n’est pas en accord avec les actes. Est-ce réellement une demande sociétale ou bien une décision politique ? (encore une fois, je salue la décision, je tiens juste à questionner sa nature). Il faut savoir qu’il existe deux méthodes pour détecter le sexe de l’animal dans l’œuf : à 9j d’incubation via un prélèvement ou à 13j via une imagerie. Qui va payer pour ces méthodes de sexage in ovo qui coûtent entre 1 et 3,5€ par poules ? (soit 15000 à 52500€ annuels en plus pour élevage Plein Air comme le mien, en plus donc des 70000€ que je mets dans un lot de 15000 poules).

Alors il est probable que la méthode à 13j d’incubation (détection couleur des plumes par imagerie) soit la plus sollicitée en raison de son coût. Mais déjà un collectif abolitionniste vient d’affirmer que c’est insuffisant (en raison d’une potentielle sentience de l’animal dans l’œuf après 10j) ! Alors quoi ? Allons tous sur une méthode à 9j qui coûte extrêmement cher au risque de faire couler nombre d’éleveurs ? (personne ne pourra payer le déploiement généralisé de cette méthode, soyons réalistes). Ou bien saluons l’avancée absolument remarquable de ce sexage in ovo, même à 13j, en se disant que c’est encore un effort important de la filière œuf ? Et, entre nous, une association qui fait son business sur le bien-être animal ne peut, de fait, pas saluer une telle décision : cela rendrait son combat caduque. Alors dès la décision annoncée, elle a tout intérêt à en demander plus. Et ce sera ainsi à chaque nouvel effort. Ne tombons pas dans leur jeu.

Ceci étant dit, il est regrettable de constater, une nouvelle fois, que, alors que le débat existe depuis des années, l’annonce se fasse 6 mois avant son application, ne laissant que trop peu de temps à la filière pour s’organiser. Nous aurions pu financer des essais français, des recherches en cours plutôt que d’ouvrir la voie à des méthodes allemande et hollandaise. A l’heure où l’on prône le « fabriqué en France », le coche a été clairement loupé.

De la comm, encore et toujours

Quoi faire face à ces situations tendues ? Communiquer pardi !

Alors quoi ? Il faudrait baisser les bras et pleurer sur notre sort ? Certainement pas ! Nous avons la chance d’avoir un beau métier, d’utilité publique, riche et fort de sa complexité, proposant des modes de production variés, des produits de qualité. Moi, je suis fière de me lever chaque jour et de contribuer à produire une alimentation de qualité, indiscutable d’un point de vue sanitaire.

Ceci étant dit, je suis convaincue du fait que la communication sur nos métiers doit se poursuivre, encore et encore. Nous ne devons rien lâcher. Je pense qu’en montrant mes poules, en expliquant la production d’œufs, en présentant notre ferme, je parviendrai à faire comprendre au grand public les défis qui nous entourent. Si les discours ne sont pas traduits en acte côté consommateurs, c’est à mon avis d’abord parce qu’ils sont déconnectés de notre monde, comme nous le sommes du leur. Si j’explique pourquoi j’ai fait le choix du mode plein air (et bio bientôt), si j’explique de quoi est composé mon coût de production et dans quelle mesure par leur acte d’achat, les consommateurs m’aident à vivre en même temps qu’ils favorisent leur vision du bien-être animal, alors je suis persuadée que certains suivront.

Je pense aussi qu’à mon niveau, je peux amener des partenaires à réfléchir sur un ou des débouchés plus locaux, en lien avec de petites enseignes, afin de ne pas dépendre seulement des débouchés grandes surfaces. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier… Et ça, j’y crois aussi. Que l’on me tombe dessus (certains osent tout) parce que je convertis mon élevage en AB pendant cette période de crise, c’est injuste. D’abord parce que mon élevage, c’est peanuts dans les millions d’œufs bio produits chaque jour, et que la décision de conversion date de l’an dernier (le temps de faire la conversion). Ensuite parce que la surproduction (par rapport à la demande) en œufs bio vient boucher le plein air par déclassement. Donc finalement, entre avoir 9000 œufs bio et avoir 14200 œufs plein air quotidiens, le centre de conditionnement préfère sans doute avoir moins d’œufs, tout simplement. Enfin, le bio, c’est mon projet initial, c’est un vrai choix. J’ai la chance d’y aller et je fais tout pour éviter que cela vienne embêter mes collègues (en communiquant, en lançant une réflexion sur les découchés). Alors je vais poursuivre, envers et contre tout !

Ces deux derniers mois, j’ai ainsi eu la chance d’accueillir Pierre Girard, journaliste pour Arte et qui tient la chaine YouTube « Tous Terriens ». Avec Pierre, chaque initiative d’agriculteurs a un sens, il est bienveillant et curieux. Ca fait vraiment du bien ! Il faut l’avouer, nous sommes souvent confrontés, en tant qu’agri-communicants, à des personnes qui pensent savoir et nous font des leçons. Avec Pierre, nous avons effectué deux vidéos : Pierre sur l’agroforesterie, pour sa chaine, et moi, sur Pierre et sa chaine. Notre rencontre s’est faite dans un temps suspendu, comme dans une parenthèse.

Fin mai, nous avons accueilli Cerise de Groupama, dans le cadre d’une série intitulée « indispensables agriculteurs » dans laquelle Cerise part à la rencontre d’agri-youtubeurs afin d’aborder des thématiques fortes (l’installation, la vente directe, l’ACS, la méthanisation, etc). Ces rencontres fournissent une sorte de photo de l’agriculture pour l’année en cours, avec tout ce qu’elle peut apporter de positif à la société. Là encore, une rencontre formidable, riche de curiosité, d’échanges sincères, bienveillants. Multiplier les canaux de communication, sans nécessairement passer par la presse (vous commencez à me connaitre), voilà ce qui me plait. Voici le lien vers la vidéo qui s’intitule « L’installation, un projet vie : rencontre avec Cerise de Groupama » https://youtu.be/yVmyzQKlMvs

Alors même si cette année 2021 ne s’annonce pas comme l’année de référence, elle sera celle où Alexis et moi aurons poursuivi nos projets. Nous ne lâcherons rien, nous avançons.